La Femme pauvre

XX

Une parenthèse est ici nécessaire. Les bonnes gens qui n’aimentpas la digression ou qui regardent l’Infinicomme un hors-d’œuvre sont dévotement suppliées de ne pas lire cechapitre qui ne modifiera rien ni personne et qui sera probablementregardé comme la chose la plus vaine qu’on pût écrire.

À tout prendre, ces gracieux lecteurs feraient encore mieux dene pas ouvrir du tout le présent volume qui n’est lui-même qu’unelongue digression sur le mal de vivre, sur l’infernale disgrâce desubsister, sans groin, dans une société sans Dieu.

L’auteur n’a jamais promis d’amuser personne. Il a mêmequelquefois promis le contraire et a fidèlement tenu sa parole.Aucun juge n’a le devoir de lui demander davantage. La fin decette histoire est, d’ailleurs, si sombre, –quoique illuminée de bien étranges flambeaux, – qu’elle viendratoujours assez tôt pour l’attendrissement ou l’horreur dessentimentales punaises qui s’intéressent aux romans d’amour.

Il est incontestable que le fait de recevoir des présents, etsurtout ce qu’on est convenu d’appeler descadeaux utiles,est, aux yeux du monde, l’effet évident d’une monstrueusedépravation, quand la femme qui les reçoit est disponible et quel’homme, célibataire ou non, qui a l’audace de les offrir, n’est nison proche parent ni son fiancé. Mais la dépravation, de simplementmonstrueuse qu’elle était, devient excessive siles objets – offerts d’une part et franchement acceptés de l’autre– sont d’usage intime et, conséquemment, significatifs deturpitudes. L’oblation d’une chemise, par exemple, crie vers leciel…

À ce point de vue l’indéfendable Clotilde eût été réprouvée parles moralistes économes, avec une énergie presque surhumaine. Ducôté des femmes, cependant, les plus hautes bégueules eussent étéforcées de reconnaître, au cours de leurs anathèmes, que Gacougnolavait fait à peine son devoir et que ses dons, quels qu’ilsfussent, – en supposant même la magnificence de plusieurs califes,– n’auraient jamais pu être qu’une défectueuse et insuffisanteoffrande.

Les femmes sont universellement persuadées que toutleur est dû. Cette croyance est dans leur nature comme letriangle est inscrit dans la circonférence qu’il détermine. Belleou laide, esclave ou impératrice, chacune ayant le droit de sesupposer la FEMME, nulle n’échappe à cet instinct merveilleux deconservation du sceptre dont la Titulaire est toujours attendue parle genre humain.

L’affreux cuistre Schopenhauer, qui passa sa vie à observerl’horizon du fond d’un puits, était certes bien incapable desoupçonner l’origine surnaturelle du sentimentdominateur qui précipite les hommes les plus forts sous les piedsdes femmes, et la chiennerie contemporaine a glorifié sanshésitation ce blasphémateur de l’Amour.

De l’Amour, assurément, car la femme ne peut pas être ni secroire autre chose que l’Amour lui-même, et le Paradis terrestre,cherché depuis tant de siècles, par les dons Juans de tous lesniveaux, est sa prodigieuse Image.

Il n’y a donc pour la femme, créaturetemporairement, provisoirement inférieure, quedeux aspects, deux modalités essentielles dont il est indispensableque l’Infini s’accommode : la Béatitude ou la Volupté. Entreles deux, il n’y a que l’Honnête Femme, c’est-à-dire lafemelle du Bourgeois, réprouvé absolu qu’aucun holocauste nerédime.

Une sainte peut tomber dans la boue et une prostituée monterdans la lumière, mais jamais ni l’une ni l’autre ne pourra devenirune honnête femme, – parce que l’effrayante vache aride qu’onappelle une honnête femme, et qui refusa naguère l’hospitalité deBethléem à l’Enfant Dieu, est dans une impuissance éternelle des’évader de son néant par la chute ou par l’ascension.

Mais toutes ont un point commun, c’est la préconception assuréede leur dignité de dispensatrices de la Joie. Causa nostrælætitiæ ! Janua cœli ! Dieu seul peut savoir dequelle façon, parfois, ces formes sacrées s’amalgament à laméditation des plus pures et ce que leur mystérieuse physiologieleur suggère !…

Toutes – qu’elles le sachent ou qu’elles l’ignorent, – sontpersuadées que leur corps est le Paradis.Plantaverat autemDominus Deus paradisum voluptatis a principio : in quo posuithominem quem formaverat. Par conséquent, nulle prière,nulle pénitence, nul martyre n’ont une suffisante efficacitéd’impétration pour obtenir cet inestimable joyau que le poids endiamants des nébuleuses ne pourrait payer.

Jugez de ce qu’elles donnent quand elles se donnent et mesurezleur sacrilège quand elles se vendent !

Or voici la conclusion tirée des Prophètes. La femme a RAISON decroire tout cela et de prétendre tout cela. Elle a infinimentraison, puisque son corps, – cette partie de son corps ! – futle tabernacle du Dieu vivant et que nul, pas même un archange, nepeut assigner des bornes à la solidarité de ceconfondant mystère !

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer