La Femme pauvre

XXXI

Il y eut aux noces de Cana, en Galilée, – les évangélistes ont,je crois, omis ce détail, – un petit juif, un horriblecrapaudaillon de la tribu d’Issachar, qui voyageait pour un notablevigneron de Sarepta, et qui fut présent lorsque le maître d’hôteldégusta le vin du miracle.

Ce jeune homme, plein de génie et probablement espion, aperçut,d’un coup d’œil unique, l’énorme danger, pour le commerce des vinsen gros, de pareilles manifestations de la Puissance divine.

En conséquence, après un rapide, mais attentif examen du cas,pressé aussi, je m’en doute, par quelque impulsion diabolique, ilobtint du maître d’hôtel, ravi de l’affaire, qu’il lui cédât,contre vingt ou trente éphadu meilleur cru de Saron,tout ce qui pourrait rester du Sang du Christ aufond des cruches miraculeuses.

Tu as bien compris, Marchenoir, du SANG DU CHRIST !

Or ce « bon vin » ayant été réservé pour la fin dubanquet nuptial, lorsque les convives étaient déjà suffisammentimbibés de l’ordinaire, – comme l’atteste positivement un Historienvérifié dans l’huile bouillante, soixante ans plus tard, parl’empereur Domitien, – il y a lieu de croire qu’il dut en resterune quantité raisonnable qui fut expédiée, le soir même, àJérusalem, avec un rapport très circonstancié, pour qu’onl’analysât dans le laboratoire du Sanhédrin.

Nul n’a le droit d’ignorer que les princes des prêtres et lesdocteurs de la loi qui formaient le Grand Conseil étaient desscélérats d’une science talmudique à faire peur, connaissant sur lebout du doigt toutes les traditions messianiques et tous les signesoù se devait reconnaître l’avènement du Fils de Dieu. Quand ilsdemandèrent Sa mort, ils savaient donc très bien ce qu’ilsfaisaient, préférant la plus ample damnation lointaine àl’inconvénient prochain d’humilier devant Lui leurs barbespharisaïque et pédiculaires.

Faute de documents certains, il serait difficile, je ne dis pasde savoir, mais seulement d’imaginer les sacrilèges abominations oules amalgames vingt fois indicibles qui seperpétrèrent, en la conjoncture, au sein du Collège pandémoniaque.Mais voici ce qu’une vie déjà longue et, d’ailleurs, jusqu’à cejour, entièrement consacrée à l’iniquité, m’a permisd’entrevoir.

Ce vin, identique, d’après une infiniment plausible exégèse, àCelui qui devait être recueilli dans la coupe mystérieuse duSaint-Graal, fut conservé par les rabbins et transmis, de siècle ensiècle, à tous les cohens ou sagans fétides qui le gardaientsoucieusement au fond de leurs juiveries, comme un électuaireinfaillible etinépuisable pour faire entrer le démondans le corps des hommes qui en boiraient une seule goutte mélangéeà n’importe quel breuvage.

Il est vraisemblable qu’on en offrit à Judas un vaste cratère etque la populace enragée qui hurlait à la mort du Christ, leVendredi Saint, écuma pour avoir bu le terrible vin sophistiqué desfiguratives Épousailles…

J’ose donc présumer que ce poison de la plus ténébreuse officinedes enfers est toujours invariablement versé, chaque fois qu’il estexpédient d’ameuter des hommes contre Dieu ou, si on le préfère,contre un Homme dont la scandaleuse Présence rend manifeste, unefois de plus, la hideur plus qu’effroyable d’un monde qui a cesséde ressembler à son Créateur. J’ai dit.

Il s’arrêta net, immobile autant qu’un vaisseau pris dans lesglaces du pôle antarctique, les mains étendues nerveusement à deuxcentimètres au-dessus de la ficelle de son pauvre pantalon fatiguépar les automnes, la bouche close désormais, comme s’il se fût agide retenir un irrévélable secret, et la flamme bleue de ses yeuxpâles dardée magnétiquement sur son interlocuteur.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer