La 628-E8

Le port, patrie du peintre.

Je crois bien que, nulle part ailleurs,l’émotion de Claude Monet n’eût été plus forte. C’est que l’artextrême-oriental, on le voit apparaître, partout, en Hollande, etsortir, on dirait, de l’eau. Il est vrai que dans les portsd’Occident – et toute la Hollande n’est qu’un grand port – lesbateaux rapportent avec eux des parcelles, des éclats de l’Orient,et de ses créations qui sont obligées de lutter, de subtilité commede splendeur, avec la lumière même.

Venise, vêtue de drap noir, regorgeait de cesrichesses transmarines, et son climat n’eût peut-être pas suffi,seul, à produire, pour l’enchantement du monde, les yeux deTitien.

Le hasard uniquement fit que Rubens n’ouvritpas les siens à Anvers, où commerçait, avec l’Europe, de toutes lesmarchandises d’outre-mer, la plus grande flotte marchande du monde.Ses parents l’y ramenèrent de bonne heure, et il y a passé lapartie de sa vie peut-être la plus féconde. De sorte qu’il tira desquais fameux de l’Escaut, outre l’arrangement des lignes etl’ampleur ornementale de ses compositions, une part au moins de lamagnificence, dont il distribua, entre les souverains et les bellesfemmes de son temps, les éblouissantes effigies.

Même Marseille, « Porte del’Orient », écrit Puvis de Chavannes, Marseille, où naquitMonticelli, valut à ce peintre l’étrange grouillement de sapalette, où les fruits rouges, les soies orientales, lescoquillages nacrés, s’écrasent parmi les eaux bleues et parmi cesnoirs puissants, dorés, qui font frissonner les bassins, pleins denavires…

Est-il possible aussi que personne n’ait pu sedéfendre de croire qu’il abordait au Japon, de ceux qui, aucrépuscule du matin, sont entrés dans le fjord deKristiania ?

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Je suis convaincu qu’un grand port, quel qu’ilsoit, où qu’il soit, est, par excellence, un lieu d’élection pourla naissance, la formation, l’éducation d’une âme d’artiste. Unartiste qui est né dans un port, qui y a vécu son enfance et sapremière jeunesse, parmi la variété, l’imprévu, l’enseignement sanscesse renouvelé de ses spectacles, est, forcément, en avance surcelui qui naquit, au fond des terres, dans un village de silence etde sommeil, ou dans l’étouffante obscurité d’un faubourg de laville. Son imagination, surexcitée par tout ce qui passe et sepasse autour de lui, s’éveille plus tôt. Son cerveau travailledavantage et plus vite, et sans trop de luttes… Il s’habitue à voiret, voyant, à comprendre. Sa pensée qui n’est pas bornée par unmur, « le mur de la maison Meyer », ou par un coteau, estlibre de vagabonder, à travers l’espace, comme ces jolies mouettesqui hantent le vaste ciel, et qui n’ont d’autre limite à leursdésirs, que la fatigue de leurs ailes… Il englobe, dans un regard,plus de choses d’ici et de là-bas, plus de visages d’ici et delà-bas, plus de vie universelle. À son insu, et commemécaniquement, le mouvement des barques sur la mer, de la mercontre les jetées, le rythme de la houle, l’entrée des navires dansles bassins, l’oscillation des mâts pressés que relie la courbemolle des cordages, les voiles qui fuient, qui dansent, qui volent,les volutes des fumées, toutes les silhouettes des quaisgrouillants, lui enseignent, mieux qu’un professeur, l’élégance, lasouplesse, la diversité infinie de la forme. Sans le savoir, ilemmagasine des sensations multiples qui ne s’effaceront plus, qu’ilretrouvera, plus tard, et dont il fera vivre un visage, un torse defemme, l’ondulation d’une jupe, la flexion d’une hanche, lebalancement d’une branche… Car il y a de tout cela dans un port… Ily a de tout et il y a tout, dans un port.

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Et, une fois de plus, ma rêverie aboutit àRembrandt.

Rembrandt n’est pas né dans un grand port,c’est vrai… Mais son nom est inséparable de celui d’Amsterdam, oùil vécut tant d’années, et y trouva l’emploi de ses dons, en leurtoute-puissance… Amsterdam, dont les habitants sont vêtus de noir,comme ceux de Venise, avec le même orgueil et un goût pareil desaccents éclatants et des ornements lourds. Dans l’une et l’autreville, le soleil fait la même féerie avec le ciel et avec l’eau quidivise les maisons, jusqu’à ce que l’humidité se condense enbrouillard, pour lui dérober la cité aquatique et la restituer àl’obscurité, sur qui le triomphe de l’astre n’aura que plus desplendeur. Je ne voudrais pas penser que Rembrandt eût pu naître enquelque petite ville endormie dans les terres, sans jamais voir lesoleil dorer des quais, dorer les eaux noires des bassins, dorerl’atmosphère profonde, « l’obscure clarté » qui grouilleentre les coques des navires… Peut-être que ce qu’il eût tiré delui-même eût suffi pour émerveiller les humains. Mais je m’exalte àdécouvrir, dans son œuvre, la conception, non seulement des images,mais des couleurs les plus somptueuses, issues de la rencontre deson génie, avec le luxe d’un grand port, infini jusque dans lavariété de ses misères, à Amsterdam, surtout, le plus oriental desports d’Occident, Amsterdam et sa sombre population juive.

 

Fermant les yeux à l’ardeur insoutenable ducouchant, vers où nous courions, je songeais à la fin douloureusedu héros, de ce Rembrandt des dernières années, enchaîné par lamisère, en proie au malheur, expiant, lui aussi, peut-être, lecrime d’avoir osé dérober au ciel, pour nous, le feu divin de salumière…

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