La 628-E8

Un port.

Spectacle merveilleux que celui d’un grandport et toujours nouveau ! Monde effarant où tout l’universtient à l’aise entre les docks d’un bassin, où, dans un prodige decouleur, s’entre-choquent les réalités implacables de l’argent, ducommerce, de la guerre, et les féeries les plus délicieuses !Masses noires et roulantes qui portent dans leurs soutesl’imagination, le génie, la fécondité, l’ordure, les richesses, lamort de toute la terre !… Tumulte, sur les eaux clapotantes,des petits remorqueurs enragés et des lourds chalands, autourdesquels les mouettes blanchissent et jaillissent, comme desflocons d’écume autour d’un récif ! Sur les quais, parmi lesballots, les tonnes de graisse et de saindoux, les laines et lespeaux, aux odeurs de pourriture, grouillement des torses nus,ployant sous le faix, et des pauvres gueules contractées de fatigueet de révolte ! Travail des machines qui, sans cesse criant,soulèvent et promènent dans l’espace, au bout de leurs bras de fer,les charges pesantes, molles comme des nuées !… Silhouetteslégères, aériennes, des voilures, des mâtures. – « Tes cheveuxsont des mâtures… Ta robe glisse sur la pelouse du jardin, commeune petite voile rose, sur la mer… »

Et entre tout cela qui grince, qui halète, quihurle et qui chante, l’entassement muet d’une ville, et lavaporisation, dans le ciel, de coupoles dorées, de flèches bleues,de tours, de cathédrales, d’on ne sait quoi… Au delà, encore,l’infini… avec tout ce qu’il réveille en nous de nostalgiesendormies, tout ce qu’il déchaîne en nous de désirs nouveaux etpassionnés !

*

**

Il n’y a pas de port dont je ne sois touché…Même, les tout petits m’enchantent qui sont perdus, comme des nidsde courlis, au fond rocheux des criques, et d’où à peine une barquemet à la voile… Mon cœur saute et bondit dans les grands… Lesfleuves qui sont humains s’y unissent à la mer surnaturelle.

Les plus grandes villes me sont presquetoujours de très petits mondes fermés… Un moment vient bien vite oùje m’y sens en prison… et m’y cogne aux murs… J’étouffe dans lamontagne ; son atmosphère m’est irrespirable, ses nuages, quidérobent toujours la vue des cimes et le ciel, m’écrasent comme delourdes, comme d’épaisses plaques de plomb. La forêt m’étreint lecœur, m’angoisse, me serre la gorge jusqu’au sanglot… Je ne puissupporter cette sorte de terreur religieuse qu’elle accumule sousses voûtes et qui emplit ses ténèbres, où, parfois, des bêtesnocturnes hurlent à la mort…

Mais il n’est pas de quai, de jetée, de môle,d’embarcadère, il n’est pas, comme ils disent ici, depiers, au long desquels des bateaux se balancent, où je neme sente vraiment au bord de l’univers, et joyeux, et libre, etléger… Les coups de sifflet qui font vibrer les vitrages des gares,même gigantesques, ne sont que des avertissements sans éclat ;ils ne parlent pas assez à mon imagination… L’appel des sirènes aune autre signification, une autre éloquence, une portée plushaute. Quand il s’amplifie dans les ports, il a la sonorité, laprofondeur, l’émotion poignante des nouvelles qui arrivent du boutdu monde, et, chaque fois que j’en ai entendu durer les accents,j’ai entendu leur répondre, du plus lointain de moi, mon aviditéinsatiable des mers inconnues, des paysages de feu et de glace, desflores, des faunes, des humanités que je voudrais connaître et queje ne connaîtrai, sans doute, jamais.

Le chant des sirènes enfièvre, jusqu’audélire, ma curiosité du monde entier…

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer