La 628-E8

CHEZ LES BELGES

Catholicisme.

Ce n’est pas en passant quelques jours dans unpays qu’on peut juger de ses mœurs, de ses tendances, de ses idées,de ses institutions. Les observations y sont forcément rapides etsuperficielles ; elles ne portent que sur un ordre de chosesinfiniment restreint, et d’ailleurs peu important. On n’atteint pasl’âme intime, l’âme secrète, l’âme profonde d’un pays, à moins d’yvivre de sa vie… Il faut donc se contenter des apparences, quitrompent souvent. En considération de quoi, je prie les lecteurs deme pardonner le ton parfois frivole et injuste de ces pages.

Pourtant, dès que vous entrez en Belgique,vous êtes frappé par cette sorte de malaria religieuse qui y règne.Elle attriste singulièrement ce petit pays… C’est peut-être celaqui rend si noires ces verdures de la campagne belge que détestaittant Baudelaire… De même que dans notre sauvage et dolenteBretagne, où l’esprit religieux a en quelque sorte tout pétrifié,de même que, dans le Tyrol autrichien, où, à chaque tournant deroute, à chaque carrefour, partout, se dressent des images desainteté qui pourraient servir à l’administration vicinale debornes kilométriques, de même, en Belgique, la superstitionreligieuse est souveraine maîtresse des âmes, des paysages et deslois. Je ne parle pas seulement des couvents qui y pullulent,comme, en Allemagne, les casernes ; je ne parle pas de cesbéguinages, qui ne sont d’ailleurs plus que des souvenirs, gardésseulement par Gand et par Bruges, pour les badauds du pittoresqueet les moutons de Panurge du tourisme. Je parle de tout ce pays,sur qui le catholicisme étend son ombre épaisse et malsaine. Dansles chemins, dans les sentes et dans les villes, on rencontre, parmilliers, de ces figures de foi têtue, de ces figures de prières,agressives et sombres, telles qu’elles sont peintes dans lestriptyques des primitifs flamands. Les siècles ont passé sur elles,les progrès et la science ont passé sur elles, sans en adoucir lesangles durs et obtus.

Je me souviens qu’il y a plusieurs années,pris d’un malaise subit dans une auberge de village, je demandaiqu’on allât me chercher un médecin, à la ville voisine, qui étaitGand.

– Ah ! Seigneur Jésus, s’écria labonne, en me voyant très pâle… Il va peut-être mourir… Dites uneprière, bien vite, monsieur… Dites une prière… Et attendez-moi…

Elle sortit précipitamment, sans m’apporterd’autres secours.

Quelques minutes après, je vis entrer,introduit dans ma chambre par la petite bonne, un gros prêtre,essoufflé d’avoir trop couru… Il voulut, à toute forcem’administrer l’extrême-onction. Et comme je refusais de me munirdes sacrements de l’Église, il insista avec violence et ne seretira qu’après avoir appelé, sur ma tête de mécréant, toutes lesmalédictions du ciel et toutes les fureurs de l’enfer.

Partout des processions, des sons de cloche,des cérémonies cultuelles, extravagantes et moyenâgeuses, deséglises pleines et chantantes, des décors d’autels dans leschambres privées, des dos courbés, des mains jointes… et desprêtres insolents, paillards et pillards, et de terribles évêques,avec des faces d’Inquisition. Partout, aussi, cette littératuredont l’érotisme mystique s’associe si bien aux ferveurs pieuses etles exalte… Qui n’a pas assisté aux fêtes du Saint-Sang, dansFurne, devenu, ces jours-là, un véritable asile d’aliénés, ne peutconcevoir à quels dérèglements, à quelles démences, la religion,ainsi enseignée, peut conduire la pauvre âme des hommes… C’est cecarillonneur de Rodenbach – personnage d’ailleurs historique – quigravait sur l’airain sonore et bénit de ses cloches les plusmonstrueuses obscénités… (Il paraît que ces cloches illustrées, onpeut les voir à Bruges, si l’on a quelques hautes référencesecclésiastiques…) C’est Philippe II, couvrant son carnetd’imaginations démoniaques, alors qu’entouré de ses évêques, de sesmoines, de ses bourreaux, une nonne sur les genoux, il faisaitcouler le sang et tenailler la chair des hérétiques, dans leschambres de torture…

Les centres ouvriers eux-mêmes, les citésindustrielles, où souvent grondent la révolte et l’émeute,n’échappent pas toujours à la contagion. J’ai vu autrefois, à Gand,une grève. Ce n’étaient point des flots de peuple lâchés etbattant, avec des clameurs de mer soulevée, les murs de la ville…C’était une procession religieuse qui défilait silencieusement,avec des attributs religieux, des bannières ecclésiales, desoriflammes, des femmes déguisées en Saintes-Vierges, des enfants,en petits anges frisés… Et je me souviendrai toujours de cetouvrier, à la gueule farouche, qui marchait devant la foule,portant je ne sais quoi, qui ressemblait à un ostensoir…

La Belgique ne peut pas éliminer le sangespagnol qui coule dans ses veines…

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