La 628-E8

La porte entrebâillée.

Depuis le début de notre voyage, – aveupénible pour un Français, – il ne nous est arrivé aucune aventuredans un hôtel, j’entends, aucune aventure galante. Gérald B…,celui, de nous, qui a le plus voyagé, et qui, d’ailleurs, estAnglais, prétend que, dans les hôtels, il n’arrive jamais rien.

– Je vous assure, répète-t-il… rien…rien… jamais rien… sauf, bien entendu, ce qui peut arriver à chacunsur un trottoir ou dans un cabaret de nuit… Les Allemandes, lesAnglaises qui voyagent seules, lorsque le roman sentimental ou labouteille de gin, le souvenir d’un opéra, d’un officier, ou toutsimplement d’un commis de magasin, agite leur imagination, etqu’elles ont besoin d’aide, sonnent le garçon d’étage…Considérez-vous comme une aventure l’offre de la servante del’hôtel, dans les petites villes de Serbie, de Roumanie ?…

– Alors, en Serbie ?

– Oui… en Bulgarie, en Hongrie aussi…Mais cela fait partie de leur service, comme le cirage deschaussures incombe au conducteur du sleeping… Un trait… je merappelle un seul trait qui vaille d’être rapporté… Etencore !… C’était en Transylvanie, au pays de l’or. Nousétions, en été, au petit jour, après une nuit passée en wagon, etavant de repartir en voiture, descendus dans un hôtel, pour yrefaire un peu notre toilette… Deux filles nous servaient… L’une,geignant, suppliait, en mauvais allemand, qu’on acceptât sesoffres, criait qu’elle était pauvre, qu’elle n’avait vraiment rien…Pour nous prouver, sans doute, son dénuement, tout à coup ellesouleva crânement le cache-misère dont, en hâte, à notre arrivée,au saut du lit, elle s’était enveloppée, toute nue… Sa hardiesse nemanquait pas de grâce… Elle était grande, bien faite… de belleslignes… un joli grain de peau… Mais nous étions trop nombreux… Jelui en fis la remarque : « Qu’est-ce que ça fait ?…répondit-elle. Tous… tous… tous… Je suis si pauvre ! »Pendant ce temps-là, l’autre ne disait rien, souriait en continuantson ouvrage. À peine débarbouillés, mal brossés… nous prenions lafuite… Je n’ai jamais eu d’autre aventure…

Pourtant, un soir, à La Haye, après dîner,Gérald B…, qui, pendant le repas, avait paru rêveur, préoccupé,nous avoua, à peine les dames parties, qu’il s’était trompé, etqu’il pouvait arriver, qu’il arrivait parfois des aventures, à unvoyageur, dans les hôtels… Il avait des scrupules à parler, maisnous l’aidâmes à trouver de quoi les apaiser…

– Eh bien, voilà ! C’est assezdrôle, du reste…

Il était rentré à l’hôtel, vers cinq heures.En voulant ouvrir la porte de sa chambre, il s’étonna qu’elle fûtentrebâillée. Et, la porte poussée, il s’étonna bien davantage, envoyant, devant l’armoire à glace, une chemise lentement se hisser,se plisser sur une croupe féminine, découvrir le rein, lesomoplates et, à la fin, s’élever, avec précaution, sans en dérangerl’ordonnance blonde, au-dessus des ondulations de la coiffure. Riende plus rouge que le visage de la dame, sans chemise, quand elles’était, tout à coup, instinctivement, retournée, au légergrincement de la porte.

– Monsieur !… Oh ! Me…Monsieur ! cria-t-elle, pas trop haut cependant, et sans tropde colère, tandis que ses doigts s’embarrassaient et embarrassaientleurs bagues dans les dentelles…

Ce qui était vraiment le plus délicieux àregarder, c’est que, au plus fort de son trouble, elle ne parvenaitpas à vêtir seulement, de ce nuage de batiste qui s’enroulait à sonbras, ses seins nus… Tout le corps était d’une blancheur dorée,éblouissante, sauf la taille où le corset avait mis, en la serrant,comme des morsures et des pinçons, et les jambes où la peautransparaissait, par les fines mailles de deux bas de soie noire àjour…

Notre ami avait refermé, verrouillé laporte.

– Monsieur !… Oh ! Me…Monsieur !…

Sans répondre à la voix qui tremblait –tremblait-elle vraiment ? – il se rapprocha, à pas de loup, dela glace, qui, loin d’offrir un voile à la pudeur de la dame, ne ladévêtait que davantage…

– Me… Monsieur !… Non… non… Soyezgentil… Non… je… je… Allez-vous-en… je… vous supplie !

Des bras suppliants sont débiles. Les bras denotre ami l’avaient prise, enserrée, l’entraînaient vers le lit,tout couvert de robes, de corsages, de gants, de chiffons, delingeries parfumées que, l’un après l’autre, il envoyait promener àtravers la chambre, sans un mot… Et la dame ne pouvait crier, maisà peine, et de plus en plus bas, que :

– Me… Monsieur !… Ah !…Ah !… Me… Me…

Puis, il sentit qu’une étreinte répondait àses étreintes, que des caresses répondaient à ses caresses… Et lavoix, peu à peu voilée, et puis rauque, enfin haletante et pâmée,balbutiait :

– Ah ! mon chéri !… monchéri !

Gérald en riait encore quand il eut regagné sachambre, voisine de celle de la dame, et y fut tombé dans unfauteuil, où il s’endormit jusqu’au dîner.

Son récit terminé, il nous dit :

– Je comprends que je me sois trompé dechambre… Mais, elle ?… Pourquoi la sienne, juste à ce momentpathétique, était-elle entrebâillée ?…

Nous allions nous livrer gaîment à diverseshypothèses, quand nous vîmes Gérald tout à coup rougir… ah !rougir comme avait dû rougir la dame en chemise, ou plutôt sanschemise. Mais il ne rougissait pas seul. Un couple pénétrait dansle restaurant, où nous nous étions attardés à fumer. Une femme, d’àpeine vingt-cinq ans, blonde, les joues en feu, toute scintillantede jais, et ramenant, par contenance, la gaze verte qui se gonflaità son épaule, s’avançait, incertaine, hésitante. Un homme énorme,beaucoup plus âgé, très haut de taille, gros, gras, glabre, l’airmalsain, l’air bourru, l’air fourbe aussi, la suivait, ouvrant degrands pas, et se dandinant ridiculement, sur des hanches tropfortes de vieille femme… Un œillet, d’un pourpre noir, s’empâtait àla boutonnière de son smoking…

– Avancez donc, ma chère ! fit-il enrusse, d’une voix dure.

La table voisine de la nôtre portait unecorbeille de roses rouges, et un maître d’hôtel s’empressait auprèsdes arrivants pour les y conduire. La dame, visiblement, répugnaità aller jusque-là… Elle tournait la tête vers l’autre bout de lasalle, où, par une baie ouverte, l’on apercevait une sorte de petitjardin de palmiers, illuminé de girandoles ; un jet d’eausortait d’un amas de petites roches en carton, que tapissaient desfougères stérilisées.

– Non, ce n’est pas la peine… fit encorele mari… Il y a un courant d’air… avancez donc…

Ce fut lui qui insista encore pour qu’elles’assît à la place qui, justement, nous faisait face… Un mot bref,détaché d’une voix coupante, obligea le colosse à se taire, àcourber sa tête teinte… Il s’effaça, en laissant, enfin, sa femme,prendre l’autre chaise et nous dérober sa rougeur…

Dans ces circonstances-là, je m’intéressesurtout aux maris ; et c’est le meilleur moyen que j’aie detrouver des excuses à leurs femmes. Dans la face énorme et molle decelui-ci, le menton saillait. Il était sinon absolument sourd, dumoins très dur d’oreille, ce qui le forçait à pencher souvent, verssa compagne, le masque rasé, plaqué de deux bandeaux trop noirs, etdont un monocle détruisait seul la ressemblance avec celui d’uncocher de maison cossue. Ses gros doigts, courts et boullus, trèsblancs, étaient gainés de bagues, où des feux étincelaient. Enparcourant le menu, il haussait les épaules, parlait fort,maugréait, semblait mâcher ses mots comme de la viande tropdure.

D’elle, qui nous tournait le dos, jeremarquais seulement, sous les cheveux ondulés qui la couronnaientcomme d’une tiare légère, une rigole qui se creusait à partir de lanuque, détail que Gérald, tout à l’heure, dans l’intime descriptionde son inconnue, nous avait donné.

Notre ami, très gêné, fit observer tout àcoup, à voix basse, combien nos cigares faisaient de fumée… Il yavait, dans ses paroles, une insistance suppliante. De temps entemps, le gros monsieur, sans nous regarder, mais avec ostentation,agitait l’air du plat de ses mains gantées d’or et de pierreries,et soufflait bruyamment :

– Pfouou !… Pfouou !…

Ah ! s’il n’y avait eu que le grosmonsieur !… Nous nous levâmes, sans plus parler… Les autresdéfilèrent avant moi, devant la table aux roses… Pas un, je l’avoueà notre honte, n’eut le bon goût ni la force de résister au désirde retourner la tête. Et moi, plus goujat que tous, sans même medonner l’excuse de la liberté du voyage, bravant les regards de ladame et le monocle furieux du mari, je me retournai aussi,brusquement, m’arrêtai quelques secondes, sous prétexted’épousseter le revers de mon smoking, où un peu de cendre decigare était tombé, et je vis, avec une sorte de joie jalouse etbasse, le joli visage blond s’empourprer… Tout au plus ne cédai-jepas à la tentation de dire, en passant :

– Me… Monsieur…

Dehors, je complimentai Gérald, qui avaitretrouvé toute son assurance. Après nous avoir traités de« cochons », pour la forme, il nous avoua :

– C’est curieux… Vous savez que, si ellen’avait pas rougi en me voyant dans la salle… je crois, ma parole,que je ne l’eusse pas reconnue !… Dame, habillée, n’est-cepas ?… Mais qu’est-ce que ça peut bien être que cestypes-là ?… Il faudra que je le demande au portier…

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