La 628-E8

Au Musée.

Je ne dirai rien des visites que j’ai faitesaux Musées. Je veux garder secrètes en moi, au plus profond de moi,les jouissances et les rêveries que je vous dois, ô Van Eyck, ôJordaens, ô Rubens, ô Teniers, ô Van Dyck !… Je veux, enadmirateur respectueux, soucieux de votre immortel repos, vousépargner toutes les sottises, épaisses, gluantes, que sécrètenthideusement les critiques d’art, lorsqu’ils se trouvent en présencedes œuvres d’art, de n’importe quelles œuvres d’art, sottisesindélébiles qui, bien mieux que les poussières accumulées et lesvernis encrassés, encrassent à jamais vos chefs-d’œuvre, etfinissent par vous dégoûter de vous-mêmes… Ah ! c’est bien lapeine que vous ayez été de grands hommes et de bravesgens !

Un soir, au Musée de La Haye, j’ai vraimententendu l’Homèrede Rembrandt me dire :

– Éloigne de moi, – ah ! je t’ensupplie, toi qui sembles m’aimer silencieusement, – éloigne de moitous ces sourds bourdonnements de moustiques, toutes cesdouloureuses piqûres de mouches, qui rendent ma vie si intolérable,dans ce musée, et qui font que je regrette souvent – je t’en donnema parole d’honneur – de n’avoir pas été peint parM. Dagnan-Bouveret… Car, si j’avais été peint parM. Dagnan-Bouveret, comprends-tu ?… tout ce qui se dit demoi aurait sa raison d’être… Et je n’en souffrirais pas…Tiens ! regarde cette grosse dame… oui, là-bas… à gauche…,cette grosse dame en rose… devant le Vermeer… Tout à l’heure, ellerassemblait autour de moi toute sa famille – quatre petits garçons,quatre petites filles, et autant de neveux et de nièces – et elledisait à tout ce monde, en me désignant de la pointe d’une aiguilleà chapeau : « Examinez bien ce vieux-là, mes enfants.Comme il ressemble à votre grand-père ! » Et les enfantsde s’écrier, en tapant dans leurs mains : « C’estvrai !… Grand-papa… grand-papa ! » Eh bien, j’aimemieux ça. Je ne sais pas pourquoi… ça m’a fait plaisir… oui, ça m’aému, de savoir que je ressemble à quelqu’un, à quelqu’un de vivant,même à quelqu’un de Bruxelles ;… car, sûrement, elle est deBruxelles, la grosse dame en rose… Mais si tu avais entendu,l’autre jour, M. Thiébaut-Sisson ? Alors je neressemblais plus à rien… Et M. Mauclair, donc ?…N’affirmait-il pas que je suis « de la peinturestatique » ? Quelle pitié, mon Dieu… quellepitié !

Est-ce curieux ?… Est-ce humiliant pournotre mentalité, qu’il existe encore au XXe siècle tant de gensassez oisifs, assez pauvres d’idées, assez dénués du sens de lavie, assez peu respectueux du sens de la beauté, pour se donner lamission ridicule d’expliquer des choses, que d’ailleurs onn’explique point, auxquelles ils ne comprennent et ne comprendrontjamais rien, quand il est si facile de laisser, chacun, jouir de cequ’il a devant les yeux, librement, à sa façon ?

Mais voilà… Tout homme a, dans le cœur, unMauclair qui sommeille.

Si, du moins, il sommeillait toujours, cesacré Mauclair-là !… N’est-ce pas, mon pauvreHomère ?

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