La 628-E8

Gorinchem.

La première joie que je devais connaître, enHollande, cette fois-ci, ce fut d’apercevoir cette petite ville deGorinchem que je n’oublierai plus, petite ville presque inconnuedes touristes, et qui, de très loin, de l’autre côté de l’eau, –c’est le Rhin et la Meuse qui coulent là, confondus – me parut sipimpante et me ravit bien davantage dès que nous eûmes circulé,quelque temps, lentement, dans ses rues étroites, pleines depromeneurs… J’en étais enchanté, comme un enfant d’un joujou. Elleavait bien l’air d’un joujou luisant, tout neuf, – quoiqu’elle fûttrès vieille – et sa nouveauté, c’était sa propreté…

En Hollande, les vieilles choses, vieuxmonuments, vieilles maisons ne m’attristent jamais. On ne voit pasleurs fissures, leurs lézardes, et ces plaies qu’avivent sans cesseles entassements de poussière corrosive. Elles n’offrent pointl’aspect délabré de ruines. À force de soins, elles conservent unebelle vie de jeunesse et de santé. Un peu plus tassées que lesneuves, un peu plus penchées, et voilà tout… Elles rappellent cesjolis vieillards, qui eurent la politesse de se garder de ladéchéance, dont le visage paraît plus frais, plus riant, sous lescheveux blanchis, et qui enseignent aux jeunes gens l’indulgence etle sourire. La coquetterie est la grande vertu des vieillesgens.

Délicieuse petite vieille, queGorinchem !… On pouvait, de l’auto, sans effort, toucher lesfaçades peintes, lavées, vernies. Les rues, où nous glissions entreces habitations à pignons historiés, étaient lavées aussi, lavéescomme les carreaux des intérieurs que peignit Pieter de Hoogh, etdallées, me sembla-t-il, de ces mêmes mosaïques de couleur, dontbeaucoup de maisons avaient leurs façades revêtues. Et des étalagesde fruits exotiques, des vitrines où se montraient des dentelles,des draps brodés, de lourds bijoux d’argent, paraient lesdevantures d’un luxe choisi… C’était la première petite ville desPays-Bas, qui mirât dans ses canaux sa coquetterie, avecplacidité…

Nous nous arrêtâmes chez un pâtissier pour yboire du thé, mais surtout pour nous arrêter, pour prendre pieddans la ville.

Les gens allaient et venaient, nousregardaient et regardaient la machine, silencieusement. Facesdébonnaires et un peu lourdes, je les avais déjà vues dans cesgravures anciennes qui représentent des amateurs de tulipes. Ils nesavaient pas trop s’ils devaient admirer, mépriser, s’indigner…Après avoir regardé l’auto, ils se regardaient entre eux, et puisils s’en allaient, sans avoir exprimé le moindre sentiment. Etd’autres les remplaçaient qui se livraient à la même mimique. Il yavait des femmes blondes, aux cheveux tirés ; il y en avait detrès noires, avec des yeux en amande, et des teints où le jaune del’Extrême-Orient luttait avec le rose d’Europe… Des pêcheursrentraient ou sortaient, poussant des petites voitures dont lesunes contenaient des paquets de filets bruns, et les autres degrandes mannes remplies de saumons. Un gamin, à la porte, nousoffrait des cartes postales : des églises aux tours penchées,des moulins à vent… des canaux, encombrés de barques… Il ne sepassait rien que de monotone et de quotidien. La vie coulait,devant nous, comme chaque jour, devant cette boutique, elle couledouce, paisible, avec son petit bruit de sabots sur les dalles dela rue. Et, pourtant, je me sentais parfaitement, enthousiastementheureux. J’avais, en moi, une joie violente de cette douceur, de cebruit de sabots, de ce silence des visages, de cette jolie filleaux bras nus qui nous servait sans empressement, de ce thé quiétait très mauvais, de ces tasses de Chine, qui ne venaient mêmepas des fabriques de Delft, de cette écœurante odeur de cacao, quiflottait dans la boutique, de ces maisons en face, petites maisonsnaïves, comme on en voit, comme on en achète, pour les arbres deNoël, dans les magasins de jouets, à Nuremberg… Il me semblait quec’était le bonheur, et que j’eusse vécu là le reste de ma vie.Impression qui n’était pas nouvelle en moi. Chaque fois que jem’arrête quelque part, n’importe où, et qu’il y a un peu d’eau, desarbres, et, entre les arbres, des toits rouges, un grand ciel surtout cela, et pas de souvenirs… j’ai peine à m’en arracher.

Il me fallut faire un effort pour me lever etpartir…

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