La 628-E8

Modern-style.

Le Bradenbrager-Hof, qui, je ne sais pourquoi,m’a rappelé le valet de chambre de Maupassant, est un de ces grandshôtels, comme on en trouve dans les moindres villes d’Allemagne, etcomme nous n’en avons qu’à Paris et dans quelques villes d’eaux, unde ces caravansérails nouveaux et art nouveau d’Occident,construits par les Belges et les Suisses, pour les habitudes deconfort des Américains et des Anglais… Des salons, plus ou moinsLouis XV et Louis XVI, y alternent avec des fumoirs depaquebot. Rien n’y est plus droit, plus d’équerre, plus d’aplomb.Tout ce qui est rond y devient carré, tout ce qui est carré ydevient rond. Je veux dire que rien n’y est rond, ni carré, niovale, ni oblong, ni triangulaire, ni vertical, ni horizontal. Touttourne, se bistourne, se chantourne, se maltourne ; toutroule, s’enroule, se déroule, et brusquement s’écroule, on ne saitpourquoi ni comment. Ce ne sont que festons de cuivre verni,qu’astragales de bois teinté, ellipses de faïence polychrome,volutes de grès flammé, trumeaux de cuir gaufré, frises de nymphéashirsutes, de pavots en colère et de tournesols juchés sur lesmoulures des stylobates, comme des perroquets sur leurs perchoirs…Des larves plates et minces dorment à l’entrée des serrures ;des embryons, des têtards montent, se glissent en ondulationsvisqueuses, le long des portes, des fenêtres, des tiroirs, deschanfreins. Les cheminées sont des bibliothèques ; lesbibliothèques, des paravents ; les paravents, des armoires, etles armoires, des canapés. L’électricité jaillit aussi bien desparquets que des plafonds, d’ampoules de cristal taillé en fleursde rêve ou en bêtes de cauchemar ; elle court, chahute,bostonne, virevolte, cakewalke, dans les girandoles et les lustres,qui ont la danse de Saint-Guy. Les meubles ont l’air d’avoir bu, etsemblent inviter la livrée aux pires excès d’acrobatie. Et, pourqu’on ne s’y trompe pas, sur les façades dissymétriques, creuséesde trous profonds et renflées de bosses énormes où toutes lesmatières connues, juxtaposées, se neutralisent et s’annulent, lesbalustrades des balcons sont soutenues par des sarabandesfrénétiques de points d’interrogation.

Ces sortes d’hôtels, si hostiles par tous lesdétails de leur esthétique, ont du moins ceci de précieux, qu’ilsoffrent au voyageur le plus délicat et le plus raffiné les pluscomplètes ressources de toilette et d’hygiène. En procédant à unminutieux lavage, dans un cabinet muni de tous les appareilsdésirables d’hydrothérapie, je ne pouvais m’empêcher de songer que,par là encore, j’étais bien loin de notre belle France où, presquepartout, même dans les plus grandes villes, les hôtels conserventjalousement les habitudes de la race, la tare héréditaire où sereconnaît, mieux que par son esprit, un véritable Français deFrance : la malpropreté. Malpropreté monarchique et catholiqueà qui Louis XIV donna le caractère d’une vertu, et la forced’émulation d’un concours. Chamfort ne raconte-t-il pas qu’ungentilhomme, ayant observé que les abords du palais de Versaillesétaient empuantis d’urine, ordonna à ses domestiques et à sesvassaux de « pisser » abondamment autour de sonchâteau ?

Que de fois, arrivant le soir, dans un hôtelde Normandie, par exemple, j’ai dû m’enfuir devant les saletés dela chambre, les draps douteux, les poussières accumulées desrideaux, les crasses pullulantes des tapis, et, surtout, devant cesodeurs ammoniacales qui, des couloirs, par les fentes des portes,s’infiltrent, pénètrent, imprègnent tous les objets !… Que defois me suis-je résigné à coucher dans mon auto, comme un foraindans sa roulotte, à l’entrée des villes, sous les arbres despromenades, et mieux, en plein champ, où l’on respire un air moinsmortellement humain !…

Et je me souvenais qu’un jour, dans une villedu Morvan, descendu à l’hôtel, un petit hôtel coquet, récemmentremis à neuf, selon l’Évangile du Touring-Club, je m’étonnai devoir combien étaient ignominieusement tenus ces réduits intimes,aux lambris de faïence, qui, pourtant, s’il fallait en croire lamarque de fabrique, arrivaient directement d’Angleterre. Vivement,je me plaignis au patron qui me répondit d’un airdécouragé :

– Ah ! ne m’en parlez pas,monsieur…

– Mais si… mais si… au contraire, je veuxvous en parler…

– Que voulez-vous ? Ce n’est pas dema faute, je vous assure… Je veille pourtant, je veille… Mais lesFrançais, qui savent tant de choses, ne savent pas c… Ça, ils ne lesavent pas !… Ce sont des cochons, monsieur…

Il s’emporta :

– Vous avez bien vu ?… J’ai collédes affiches… des affiches, où j’explique la façon de se servir deces appareils… Eh bien, non… Ils ne veulent pas… Ils montenttoujours dessus… C’est dégoûtant !…

Et il ajouta, car ce Morvandiau était, malgrétout, optimiste :

– Peut-être qu’avec tous ces sports… oui,enfin… avec l’automobile, apprendront-ils à c… comme tout le monde.J’ai confiance dans les sports, monsieur… Mais, sapristi !… ily a à faire… il y a à faire…

– À faire autrement, grommelai-je.

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