Le Cavalier Fortune

Chapitre 17Où Fortune engage une forte servante du nom de Marton.

Le lendemain matin, de bonne heure, lecavalier Fortune, qui portait toujours son costume d’exempt, séchéau feu de la cuisine, traversa Paris en remontant le cours de larivière ; un gentilhomme l’accompagnait qui avait, comme lui,le feutre et le manteau d’aventures.

Ils entrèrent tous les deux à l’Arsenal., oùils demandèrent Zerline, la chambrière de Mme Delaunay.

Zerline les reçut et les garda environ uneheure.

Fortune, en ressortant, dit à Mme LaPistole qui l’accompagnait avec son affabilité ordinaire :

– Ma bonne petite, je viendrai vous voir avantmidi.

– Avant midi, répéta Zerline, et non pasaprès, je vous prie, car ma journée sera bien employée, et Dieusait à quelle heure de la nuit finira notre besogne !

Fortune ouvrit la bouche pour lui adresser unequestion, mais il se ravisa et descendit prestement l’escalier,après avoir envoyé un baiser à Zerline qui acceptait toujours cegenre de politesse avec reconnaissance.

– Au revoir, dit notre cavalier.

Il n’était pas seul à descendrel’escalier.

On, l’avait vu entrer avec un gentilhomme, onle vit sortir avec un beau brin de fille qui se tenait droit et quimarchait d’un pas délibéré.

Les factionnaires de l’Arsenal, ce temple dela comédie, ne se trompaient guère en fait de déguisements ;ils se dirent :

– Ceux-là viennent de chez la costumière et ily a quelque manigance sous jeu !

Fortune et sa compagne prirent la rue duPetit-Musc.

– Faites les pas un peu plus courts, monprince, disait Fortune à la prétendue donzelle qui portait avecgaillardise un accoutrement campagnard, pour être servante chezMme la comtesse de Bourbon, il ne faut pas avoir l’air d’unepoissarde.

– Morbleu ! répliqua le beau brin defille, je fais de mon mieux pour me tenir en modestie et entimidité, mais ces coquines de jupes me battent les jambes, et siles gens se mettent à rire de moi, je ne réponds de rien, car j’aila main leste.

Un soldat aux gardes, qui passait, retroussales crocs de sa moustache et lui envoya une œilladeincendiaire…

– Altesse, dit Fortune, vous voyez que vousportez votre déguisement à merveille, puisque les soudards ontenvie de vous faire la cour. Qui sait si M. de Richelieun’essaiera pas de vous ravir une caresse.

– Par le saint sépulcre ! grondaCourtenay, les caresses qu’il aura de moi marqueront sur sapeau ! je voudrais déjà être à l’ouvrage.

– Du calme, recommanda notre cavalier, de laréserve, et n’oubliez pas que vous êtes Mlle Marton, arrivant dePicardie, sous les auspices des bonnes dames ursulinesd’Amiens.

Ils avaient traversé la rue Saint-Antoine etentraient dans la cour des Tournelles.

– Le Chizac est à son poste, dit Fortune en seretournant pour montrer un carrosse arrêté devant l’allée : ilétait temps d’arriver ! et m’est avis que vous n’allez paslanguir beaucoup avant d’entrer en fonctions.

Ce fut Muguette qui vint ouvrir la porte deMme la comtesse de Bourbon. Muguette avait vu plus d’une foisle chevalier de Courtenay, mais elle ne le reconnut point, tantMme La Pistole, habile entre toutes à ce métier, l’avaitparfaitement travesti.

Pour quiconque n’était pas amené à l’examinerde très près, par suite de défiances préconçues, le chevalier deCourtenay était une bonne grosse villageoise à la figure avenanteet réjouie qu’on ne pouvait accuser d’avoir froid aux yeux.

Sa taille ne dépassait pas de beaucoup celled’une femme et, pour le goût de bien des amateurs, il aurait pupasser pour une fort jolie commère.

Muguette était moins triste que la veille. Lanuit s’était assez bien passée. Mme la comtesse n’avait pointeu de crises, et quoique aucune amélioration importante n’eûtmodifié l’état de la pauvre Aldée, elle avait du moins reposépaisiblement cette nuit.

Vous nous avez porté bonheur, c’est sûr, moncousin Raymond, dit-elle, et si vous venez nous voir souvent, biensouvent, la mauvaise chance partira de la maison.

Pendant que notre cavalier l’embrassaitfranchement et comme un fiancé a le droit de le faire, elle luidemanda tout bas :

– Qui donc est cette belle personne ?

– C’est Marton, répondit Fortune. Si jesuivais mon envie, je serais toujours ici près de toi, mais Dieusait que j’ai de l’ouvrage. Or, en cherchant bien, j’ai découvertMarton qui lève un garde-française à bout de bras, quand on veutrire avec elle.

– Et vous la laisserez avec nous !s’écria Muguette en sautant de joie.

Elle se rapprocha de la prétendue Marton etlui demanda :

– Êtes-vous bien brave ?

– Pour cela, répondit Fortune en riant, bravecomme feu le chevalier Bayard !

– C’est que j’ai eu si grand-peur cettenuit ! reprit Muguette avec un petit frisson. Pendant queMme la comtesse reposait et que notre Aldée était assise à lafenêtre, regardant au-dehors toujours et suivant dans les ténèbresje ne sais quelle chimère, j’ai entendu un bruit sourd et continudu côté de sa chambre qui confine à la maison du voisin.

– À qui payez-vous le loyer de votrelogis ? interrompit Fortune.

– À un homme qui demeure rue des Cinq-Diamantset qui a nom Chizac-le-Riche, répondit Muguette. Toute cette partiede la cour de Guéménée est à lui.

Fortune échangea un regard avec Marton, quiayant autre chose en tête, demanda :

– Ne verrai-je pas bientôt la demoiselle queje dois servir ?

Fortune eut peine à comprimer un éclat derire, au son de cette voix qui sortait, sonore et mâle, sous lacornette de Marton, déjà posée de travers.

– Elles ont un fier creux, ces Picardes !dit-il en clignant de l’œil à l’adresse de Muguette, et j’ai choisila plus solide. Telle que tu la vois, elle vous prendrait un hommede chaque main, et les lancerait tous deux par la fenêtre :pas vrai, Marton ?

– Sans rancune, répondit celle-ci, les hommes,c’est fait pour ça.

– Et elle n’a pas l’air méchante du tout,pourtant, dit Muguette, qui la regardait de tous ses yeux.

Elle vint à elle et lui prit la main.

– Êtes-vous contente d’être avec nous ?demanda-t-elle.

– Assez, répondit Marton, ce que je voudrais,c’est voir la demoiselle.

Muguette se dirigea vers la porte du fond,mais avant de l’ouvrir elle mit un doigt sur sa bouche.

– Pas de bruit, fit-elle. Aldée repose. Jevous introduis parce que j’ai besoin de vous montrer quelquechose.

Ils entrèrent tous les trois sur la pointe despieds dans la chambre de Mlle de Bourbon.

Elle était couchée sur son lit ; sa belletête pâle s’encadrait dans le désordre de ses cheveux et il y avaitcomme un vague sourire à ses lèvres.

Marton écarta brusquement Muguette étonnée etmarcha droit au lit.

Elle resta là un instant en contemplation,puis ses genoux fléchirent.

– Quelle drôle de fille ! dit Muguette enla voyant ainsi agenouillée, je ne découvre pas son visage, mais ondirait qu’elle pleure.

– C’est la race, répliqua Fortune, ces fillesde Picardie gagnent leur vie à se dévouer ; ça vaut un chiendans ma main.

– Je l’aime bien, moi, cette Picarde.

– La peste ! grommela Fortune, il nefaudrait pourtant pas l’aimer trop !

– Est-ce que vous seriez jaloux d’elle, moncousin Raymond ?

Fortune lui caressa la joue au lieu derépondre et demanda :

– Qu’est-ce que tu voulais nous montrer,amour ?

Muguette redevint aussitôt sérieuse.

– Si tu savais, s’écria-t-elle, comme je suisheureuse ! J’ai passé toute la nuit à trembler. Comme tu esbon, et que je te remercie de m’avoir amené une Picarde, puisqueles Picardes sont plus fortes que les voleurs.

– Marton ! appela Fortune.

Celle-ci se leva en sursaut.

– Viens ça, ma gosse, reprit le chevalier. Lapetite va dire des choses qui te concernent.

– J’écoute, dit Marton sans approcher.

Muguette ne prit point garde à l’émotionextraordinaire qui bouleversait le visage de la Picarde, maisFortune pensa :

– La mule du pape ! notre prince entient ! je ne l’aurais pas cru capable d’aimer si bien quecela.

– C’était ici, reprit Muguette dont le doigt,encore un peu tremblant, montrait une grande armoire d’attache,placée au centre de la muraille ; on aurait juré qu’il y avaitdes maçons travaillant à démolir ce mur.

– Et ce mur est mitoyen avec la maisonvoisine ? interrogea Raymond.

– Cela doit être, répliqua Muguette, puisquenotre maison finit ici. Le bruit de démolition a bien duré jusqu’àtrois heures du matin ; après quoi il y a eu un moment derepos, puis il m’a semblé…

– Mais, mon cousin Raymond, interrompit-elle,il ne faut pas croire que ce soit un rêve. J’étais debout à laplace où nous sommes, et j’avais envie de crier au secours.

– Le bruit a donc recommencé ? demandacette belle voix de Marton, qui faisait si bien sous sonbavolet.

– Ah ! mon cousin Raymond ! s’écriaMuguette, en joignant ses deux jolies petites mains, la voix deMme Marton me rassure comme s’il y avait un demi-centd’archers dans notre logis ! C’est un autre bruit qui sefit ; ma chère Marton, car nous serons toutes deux de bienbonnes amies, je vois cela ; on eût juré que l’armoire étaitpleine de souris qui rongeaient le bois et, une fois, l’idée m’estvenue qu’il y avait là un menuisier qui travaillait à tâtons.

– Et tu n’as pas ouvert, petite,poltronne ? dit Fortune.

– Ouvrir ! se récria Muguette ;Jésus, mon Sauveur ! Mais, depuis qu’il fait jour, je n’ai pasmême osé tourner la clef dans la serrure.

Marton fit un pas vers l’armoire et l’ouvrit,tandis que Muguette se cachait derrière Fortune.

Dans l’armoire qui était plus large queprofonde les vêtements de Mlle de Bourbon étaient pendus à desporte-manteaux. Ils étaient pour la plupart d’étoffes communes etde couleurs sévères à l’exception de deux robes plus riches dontles nuances allaient se fanant et dont la forme avait passé demode. En somme, c’était bien une pauvre garde-robe pour uneprincesse.

Muguette regardait de tous ses yeuxpar-dessous l’aisselle de Fortune.

Marton avait écarté les robes et faisaitl’inspection de l’armoire.

– Trouves-tu le menuisier ? demandaFortune.

Marton ne répondit point tout de suite.

Elle remit en place les vêtements et refermal’armoire.

– Eh bien ? fit Muguette.

Marton mit dans la main de Fortune un petitfragment de scie en acier fin, dont la cassure avait des paillettesdiamantées.

– Le Chizac a tenu parole, dit-elle ; labesogne est faite. Je suis ici une sentinelle dans sa guérite et jene quitterai plus cette chambre.

– Eh bien ? répéta Muguette, dont lacuriosité arrivait à la fièvre.

Une voix rauque et cassée appela dans lachambre voisine.

– C’est madame la comtesse de Bourbon, ditFortune ; va, fillette, et annonce-moi. Il faut que j’obtienneson agrément pour que Marton, sa nouvelle servante, fasse partie dela maison.

Dès que Muguette eut franchi le seuil, laprétendue Marton saisit les deux mains de Fortune et l’emmena versle lit.

– Regardez ! dit-elle.

Et les yeux brûlants, la voix saccadée,Courtenay ajouta :

– Voilà ce que cet homme a fait d’elle !et vous ne voulez pas que je le tue !

– Prince, répondit Fortune avec émotion, vousaimez bien, vous aimez comme un bon cœur, et vous serez heureuxs’il plait à Dieu. Contentez-vous du bonheur que je vous auraidonné et laissez-moi M. de Richelieu, carM. de Richelieu m’appartient.

– Madame la comtesse, dit Muguette enrentrant, consent à recevoir M. le cavalier Fortune.

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