Histoires incroyables

XVI

Comment cela s’est-il fait ? je n’en saisrien, il y a eu instantanéité. Je n’ai rien vu, etpourtant je regardais… oh ! de toute la concentration de mesorganes visuels…

Voilà qu’au milieu de la pièce est une massenoire qui se roule, se tourne, grince, hurle, bondit, se sépare, sebrise, se rejoint… ce sont mes trois hommes qui semblent faire uneseule bête monstrueuse, à je ne sais plus combien de bras ou dejambes. Les têtes se heurtent, les bras s’entrelacent, les jambesse croisent… tout cela veut se dresser, mais tout cela retombe…

Les voilà debout tous les trois. Grappehumaine. Ils se sont tus un instant. Un immense effort raidit cesmuscles et ces nerfs… Ah ! je vois, chacun d’eux tendà la porte et s’oppose à ce que les deux autres y parviennent.

En voilà un qui s’échappe ! C’estGolding. Par un coup habile, il s’est dégagé de ses adversaires, ilbondit vers la sortie. Ah ! ouiche ! voici les deuxautres qui s’attachent à ses jambes, à ses épaules… Ils se roulentsur le parquet, ils écument. Leurs corps frappent à plein dos leparquet, qui résonne sourdement sous le choc. Et ils ont recommencéà crier. C’est une lutte horrible. Quelque chose de démoniaque. Uncauchemar. Parfois une tête disparaît, puis on la voit qui seglisse entre deux corps, l’œil est atone, la langue pend… il y apresque strangulation. Mais, qu’importe ! le lutteur retrouvetoute sa vigueur et rend coup pour coup. S’ils crient, ce n’est pasde douleur ! Non, c’est la rage qui s’exhale de ces poitrinesmeurtrières…

À ce moment, Golding, – c’était bienlui ! se dégagea et s’élança… où cela ?

Contre la porte que je ne pouvais pas voir etqui donnait accès dans la pièce où je me trouvais, porte qui, ons’en souvient, était obstruée par le bahut sur lequel j’avais dû mepercher… Ces hommes qui n’avaient pas prononcé une seule parole,semblent retrouver la voix :

– Tu n’iras pas seul, hurlent-ils.

Et ils s’élancent sur Golding. La portes’ébranle, elle s’ouvre. Les voilà derrière le bahut, quis’arc-boutent de leurs épaules… tous trois. Le poids est lourd,formidable, mais deux fois déjà le bahut s’est écarté de lacloison, et j’ai vu – oh ! bien vu – leurs fronts pâles etleurs yeux hagards… leurs yeux surtout, avec des lueurssinistres…

J’ai eu peur ! Eh bien !après ? Il m’a semblé que je sentais dans mes entrailles cesongles qui labouraient tout à l’heure les portes. J’ai bondi en basdu meuble… ma lanterne tombe dans le choc. Où est-elle ? Je nepuis songer à la retrouver. Vite ! le verrou !

Malédiction ! pourquoi l’ai-jefermé ? je ne puis le retrouver… Le bahut s’ébranle, recule,il laisse passer une lueur, une traînée, et dans ce reflet, je voisdéjà un bras qui passe… Oh ! s’il me tenait !

Ah ! ce verrou, le voilà. Il résiste, jesuis si troublé… je l’ouvre ! je saute dans l’escalier. Aumême instant, le bahut se renverse avec un bruit épouvantable… ilsont entendu quelque chose. J’entends leurs voix :

– Il est là ! Il est là !

Qui ? Il ? de quiveulent-ils parler ? Après tout, peu m’importe. J’ai l’avance,n’est-il pas vrai ? Mais ils vont vite ; au moment oùj’arrive en bas de l’escalier, je les entends qui roulent le longdes marches… Par où m’en irai-je ? Par le diable ! Jen’ai plus mon échelle de corde !

Je cours à travers le parc.

Ils m’ont vu… et les trois démons s’élancent àma poursuite. Oh ! quelle course ! Et il n’y a qu’unquart de mille. Je ne touchais pas terre… si j’avais pu me jeter decôté dans quelque fourré. Mais la lune tombe en plein sur le parc.Mon ombre me trahirait partout et toujours. Comme je fuisvite ! Mais ils ne sont plus qu’à dix yards de moi, je passedevant la chapelle blanche… Voici le mur.

Oh ! alors, des ongles, des mains, despieds, des dents, des genoux… comment ? avec quoi ? jen’en sais rien… mais il le faut… cela sera… cela est… j’ai gravi lemur…

À cheval sur le faîte, en dépit du danger, lacuriosité est la plus forte. Je regarde dans le parc…

Par l’enfer ! qu’est-ce ceci ? Ilsne sont pas venus jusqu’au mur… non, je les vois devant lachapelle… je les vois, non, je revois cette masse informe,grouillante, qui lutte, se mêle, s’écarte, se resserre… et quicrie ! oh ! quels cris !

Ils ne sont pas allés plus loin. Quisait ? Ils n’ont pas pu aller plus loin !

Mais je suis énervé, à demi fou, rompu,exténué…

Et je ne sais comment je suis revenu chezmoi.

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