Histoires incroyables

X

Les faits qui se passaient en bas avaient uncaractère qui présentait un intérêt tout particulier.

Lorsque Truphêmus, entendant frapper à laporte, était rentré dans la maison, suivi quelques minutes aprèspar Aloysius, Netty, qu’ils avaient laissé pleurant à chaudeslarmes et criant à pleins poumons, avait immédiatement levé latête, et, regardant à travers ses doigts écartés, s’étaitconvaincue que l’affaire des carreaux cassés n’aurait pas de suite.Alors elle se mit à rire et à exécuter une de ces danses naïves,rudiments de l’art chorégraphique, que seuls peuvent imaginer lesenfants. Puis, passant l’index de la main droite sur l’index de lamain gauche, étendu dans la direction de la maison, elle manifestapar ce geste plusieurs fois répété le peu d’importance qu’elleattachait à la colère paternelle, en admettant même qu’elleexistât.

Ensuite, sans doute pour donner issue àl’exaspération à laquelle elle se trouvait elle-même en proie, ellese mit à courir à travers le jardin, arrachant les fleurs, lesjetant en l’air, puis les piétinant ; elle revint vers lekiosque où elle déchira quelques tentures. Mais ces exercicessalutaires ne paraissaient pas suffire à lui rendre le calmeperdu.

Tout à coup son visage prit une indicibleexpression de satisfaction ; son regard était à ce momenttourné vers la maison… Or, pour la première fois depuis trois mois,la porte, par un oubli qu’il faut attribuer à l’état troubléd’Aloysius, était restée ouverte…

Netty s’approcha sur la pointe des pieds ettendit le cou en avant. C’était au moment où les pouliesentraînaient les savants et le jeune homme dans la caisse enquestion.

Certes le spectacle que la jeune fille avaitsous les yeux n’avait rien de séduisant, et en la voyant s’arrêterhésitante sur le haut de l’escalier qui conduisait au fond de lacave, on eût dit une exilée d’un monde céleste, regardantcurieusement l’antichambre d’un lieu infernal.

Elle écouta. Pas un bruit. Elle était seule.Certes, elle ressentait bien une certaine crainte ; mais lacuriosité était si forte ! si souvent elle avait désirépénétrer dans ces salles hermétiquement fermées ! Bref, ellese décida… La voici, hasardant un pied, puis l’autre, toujoursl’oreille au guet… Elle se trouvait enfin au laboratoire. À cetinstant, Truphêmus et Aloysius commençaient à rire.

Netty regardait autour d’elle. Tous ces objetsnouveaux l’embarrassaient au plus haut point. Ce n’étaient quebonbonnes, que cylindres, que matras. Les mélanges les plusbizarres remplissaient les flacons de verre. Puis l’immensefourneau sur lequel mijotaient des préparations nouvelles,mélanges, amalgames ou combinaisons encore inachevées… Elle sautadevant le tableau dont les boutons indicateurs correspondaient auxmoteurs de chaînes. Elle approcha sa main, puis la recula, puisenfin toucha rapidement les divers boutons, comme elle eût fait surle clavier d’un piano… Mais aussitôt elle recula en poussant un crid’effroi…

Toutes les mécaniques étant mises en jeusimultanément, les chaînes grincèrent, les poulies tournèrentfollement, le système des contrepoids, perdant leur équilibre,n’agissait plus, les caisses descendaient avec une rapiditévertigineuse, puis remontaient d’un vigoureux élan, comme si elleseussent acquis une force nouvelle.

Netty courait, et, comme un oiseau qui apénétré dans une chambre par une fenêtre entrouverte, se heurtait àtous les coins, à tous les angles. Elle trébucha, se retint àquelque chose… C’était le moteur de la grande machine électrique.Et voilà que l’immense disque de verre se mit à glisser entre descoussins… Un torrent d’étincelles s’échappa dans l’air comme unfaisceau d’étoiles, avec un crépitement toujours plus fort.

Netty est affolée. Elle veut fuir… elle veutparvenir à la porte ; mais elle heurte tout sur sonpassage : cornues, flacons, alambics, bonbonnes se brisent…les liquides se répandent, les gaz reprennent leur liberté.

Alors les combinaisons les plus inouïes seréalisent… les éléments chimiques sont en présence… c’est la luttedes forces essentielles de la nature.

Les caisses montent et descendent toujours,secouant les malheureux, dont l’un était venu chercher le bonheurdans Quiet-House.

Aux lueurs étranges et sans cesse changeant deteintes, Netty court encore…

L’asphyxie la saisit à la gorge et laterrasse…

Puis une effroyable détonation…

Et tout s’écroule…

 

Ainsi périrent les habitants de la MaisonTranquille, et voici comme Franz Kerry ne trouva pas le bonheurqu’il avait rêvé.

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