Histoires incroyables

XXIII

« J’étudie la littérature et l’histoirede tous les pays, au point de vue des tortures. Quel autre sujetm’intéresse ? Le grand poète de la France, Hugo, eut une idéesplendide. Son Claude Frollo, précipité des tours deNotre-Dame ! Que serait-ce s’il tombait tout droit, et que soncrâne se brisât sur la dalle des rues ? Ce qui est vraimentadmirable, c’est l’homme se raccrochant aux saillies del’architecture, suspendu par un coin de sa soutane à la gouttièrequi plie… admirable, ce passage.

« Quasimodo n’eût eu, pour le tirer dugouffre, qu’à lui tendre la main… l’archidiacre haletait. Son frontchauve ruisselait de sueur, ses ongles saignaient sur la pierre.Ses genoux s’écorchaient au mur. Il entendait sa soutane accrochéeà la gouttière craquer à chaque secousse qu’il lui donnait… il sedisait, le misérable, que, quand ses mains seraient brisées defatigue, quand sa soutane serait déchirée, quand ce plomb seraitployé, il faudrait tomber, et l’épouvante le prenait auxentrailles…

« Oh ! grande et puissante haine quecelle de ce nain bossu et louche.

« Quasimodo le regarda tomber !

« Jouissance profonde, complète,immesurée ! Le voir se tordre dans l’impuissance, désespéreravant la mort, c’est alors que le sonneur dut vivre dans laplénitude de sa haine assouvie.

« Bien curieuse aussi la vengeance de cenègre, dans le roman d’Eugène Sue, Atar-Gull, je crois.Tenir l’ennemi là, sous ses yeux, sous sa main, l’insulter, lemartyriser, et à l’heure suprême, lui cracher au visage… tandis quele monde ne sait rien, que la foule applaudit audévouement du tortionnaire.

« J’ai lu encore le Monte-Cristofrançais : j’y ai noté plus d’un incident intéressant. Mais cen’est point là de la vengeance humaine ; et puis, la puissancedu bourreau rapetisse la vengeance. Ce qui est vraiment beau, c’estle petit, l’humble, le mesquin, le déshérité, s’attaquant desongles et des dents à celui qui croit le dominer, qui, jusqu’à ladernière heure, se suppose le maître… et qui n’est, à un momentdécisif, que le misérable sanglotant sous la griffe de sonennemi…

« L’histoire n’est pas sansenseignements. Je n’ai point dû la négliger… J’aime la mort deMathô, dans le livre de Flaubert. Seulement l’atrocité même dusupplice va contre son but.

« – Mathô paraissait insensible ;puis, tout à coup, il prit son élan et se mit à courir au hasard,en faisant avec ses lèvres le bruit des gens qui grelottent par ungrand froid… »

« Il a l’ivresse de la torture, comme cesmartyrs chrétiens qui, le sourire aux lèvres, chantaient sous lefer des bourreaux. Ceci est mauvais.

« L’Orient est maître en l’art dessupplices, mais il ne tient pas suffisamment compte des souffrancesmorales. Déchiqueter un corps, c’est bien. Taillader une âme, c’estmieux. Il faut que le supplice remplisse cette doublecondition ; il faut que des excès même s’élève, inextinguiblejusqu’à la dernière seconde, la lueur d’espérance qui rafraîchit etréconforte l’âme du patient… voici ce que l’histoire m’a présentéde plus complet.

« Mathias, empereur d’Allemagne, abolitdans ses États la peine de mort. Le condamné était conduit hors dela ville et là, attaché à un poteau, les bras et les jambes liés.La tête était libre. Mais, du reste du corps, aucun mouvementn’était possible. Matin et soir, un gardien apportait la nourrituredu misérable et la lui faisait prendre ; on défendait l’hommecontre toute attaque de bêtes fauves ou des insectes. Mais ilrestait là, immobile, impuissant, jusqu’à ce que cette immobilitéet cette impuissance l’eussent tué…

« Si ce Mathias haïssait le condamné, ildevait être heureux.

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