Histoires incroyables

XXII

« Nous voyageons ! Nous visitonsl’Europe ; lui, plein d’enthousiasme, moi, froid etraisonnant ; lui, rapportant tout spectacle au besoin d’idéalqui l’étreint, moi, ramenant toute sensation au but unique quis’impose à mon âme. Il admire la cathédrale de Strasbourg ;moi, je mesure du regard la hauteur de la flèche, et je me demandequelle doit être la souffrance de l’homme qu’un hasard précipite àtravers l’espace, et qui sent, dans sa chute vertigineuse, que sesmembres se vont briser, au pied de l’immense basilique… DansCheapside, de Londres, dans la rue Montmartre, de Paris, alorsqu’il admire cette activité fiévreuse de mille véhicules, secroisant, se heurtant, se frôlant ; alors qu’il songe à ladépense de forces intellectuelles et physiques que représente cemouvement incessant, moi, je rêve à ce que souffrirait l’homme jetésous les pieds de ces chevaux, écrasé par le roulement de ces milleroues, blessé, meurtri, pantelant…

« Dans les hauts fourneaux, je réfléchisà ce que ressentirait le corps humain, jeté vivant dans les flammesinextinguibles ; dans les manufactures, je vois des membresdéchiquetés, tressautant par lambeaux, aux élans de toutes cesroues, débris sanglants, écrasés sous ces balanciers de fonte oubroyés sous ces leviers de fer…

« Dans les profondeurs des mines sombres,je devine le porion surpris par l’inondation, fuyant devant le flotqui fait irruption à travers les fissures du granit, s’élançantvers l’échelle de salut et sentant alors le flot qui lèche sespieds, bondit à ses cuisses, grimpe à sa poitrine, puis bonditau-dessus de la tête, l’arrachant de son dernier asile pour leprécipiter à la mort. Ou bien, je le vois, le mineur, confiant etfrappant de son pic la pierre qui étincelle, redressant la tête aubruit sourd d’une explosion encore incomplète, comprenant que legrisou est là, invisible, menaçant, ouvrant ses bras de fer pourl’écraser, apprêtant ses tenailles de fer pour le martyriser… toutà coup effondrement, écroulement. L’explosion a eu lieu. La pierrea éclaté comme la coquille d’une noix dans un brasier… et, sejetant au-devant du fuyard, s’est faite muraille… cloîtré dans cetin pace du travail, il mourra de faim, de soif,d’épuisement.

« Voyant tout cela, je m’adresse cettequestion : Que lui ferai-je souffrir ?

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