Histoires incroyables

II

Et il dort, d’un sommeil que je sais pesant etinvincible. Il n’a pu rien entendre, d’ailleurs l’heure n’a passonné à ma pendule. Je l’ai arrêtée. Moi, j’étais trop attentifpour ne pas saisir l’écho venant de l’horloge voisine. Il n’a pasfait un mouvement.

C’est étrange. Je m’attendais à quelque chose.Ce rien me surprend. Et pourtant, non, je ne me suis pastrompé… j’y songe ! Si ce n’était pas encore six heures – pourlui ! Alors doucement, oh ! tout doucement, je me pencheet je tire sa montre de son gousset. Comme je fais celahabilement ! on dirait un habitué desFive-Points[1]… Il n’a pastressailli. Mes doigts ont été si légers ! Là ! jeregarde, il n’est que six heures moins deux minutes… l’horlogeavance… Je puis encore espérer… quoi ? L’épanouissement del’inconnu… Voilà, l’aiguille marche, lentement, lentement. Encoredeux secondes. D’un mouvement vif, je remets la montre à sa placeet…

Ah ! ce fut un curieux spectacle envérité et que je n’oublierai de ma vie. Est-ce bien Golding qui sedressa tout à coup, comme si un ressort se fût tendu dans son épinedorsale ? Il n’ouvrit pas les yeux, non, mais à je ne saisquel rayonnement, je m’aperçus qu’il voyait à travers sespaupières fermées. Il fit un pas, sans chanceler.

Je pris son chapeau et le mis sur sa tête… unpeu de travers, et j’eus la compassion de placer sa canne entre sesdoigts. Et tout cela dut être fait bien vite, car depuis le momentoù il s’était redressé, il n’avait pas cessé d’agir.

Il avait traversé la salle où nous avionslunché, ouvert la porte ; il descendait l’escalier.

Oui, mais s’il s’en va ! Eh bien !après, que saurai-je ? le suivre, c’est banal. Il me semblequ’il y a mieux à faire. Maintenant, je ne doute plus. Il y a unsecret, ce secret est mon bien, ma proie, il ne faut pas qu’ilm’échappe…

Une idée infernale traverse mon cerveau. Si jel’enfermais ! je rentrerai tard, je lui dirai qu’il s’étaitendormi, que j’ai cru devoir respecter son sommeil.

Et comme ces pensées étaient écloses en moi enune seconde, je me trouvai dehors, et je fermai la porte à doubletour.

Il était enfermé. Et toutes les voix de laville, comme dans un appel désespérant, répétaient : Une,deux, trois, quatre, cinq, six… cinq, six… cinq, six.

Moi, je courus à une petite fenêtre basse parlaquelle je pouvais plonger à l’intérieur. Je vis vraiment unspectacle bizarre.

Me Golding était appuyé contre laporte, non comme un homme ivre, mais dans l’attitude d’un homme quimarche. Les jambes se levaient, l’une après l’autre, en cadence,sans temps d’arrêt : comprenez-vous cela ? Ilallait sans bouger. Le visage collé contre la porte, iltendait en avant comme s’il eût fait une course rapide,et, en réalité, il piaffait sur place.

Je ne sais pourquoi cela me sembladémesurément grotesque. Je partis d’un violent éclat de rire,et…

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