Histoires incroyables

XXXV

« C’est fait… la maison est pleine decris, de gémissements et de sanglots. Ils sont nombreux, lesserviteurs. Et ils aimaient Turnpike. Âmes basses et serviles quin’ont jamais eu la force de haïr le maître… sous ce prétexte qu’ilétait bon… À chaque minute tinte la cloche de la grille…Green-House est encombré de visiteurs… Chose bizarre ! Ceshommes ne sont pas des hypocrites. Non, la douleur qu’ilsressentent est bien réelle…

« – Un caractère si élevé ! ditl’un.

« – Une si grande intelligence !répond l’autre.

« – Et qui a rendu tant de services à lascience…

« – Mais de quoi est-il mort… sisubitement ?

« – Une congestion cérébrale,évidemment…

« – En effet, il y a trois mois déjà…

« Oui, il travaillait trop… la lame a uséle fourreau. C’est une grande perte.

« Moi, je me suis assis au pied du lit oùil est étendu. Son visage est découvert, je le regarde… la mort adonné à ses traits la rigidité marmoréenne. La mort !… ce motm’effraie. Est-ce que ?… non, je suis certain de ce que j’aifait, je n’ai rien à craindre… et, pensant cela, je couve des yeuxce corps qui m’appartient, ce corps dans lequel ils croient qu’iln’y a plus d’âme… car seul je sais…

« Je suis seul en ce moment… voyons sesbras… ils ont la raideur tétanique du cadavre… j’applique monoreille sur sa poitrine. Oh ! ce cœur est bien immobile, pasle moindre tressautement…

« On frappe. « Entrez ! »C’est le médecin. Je le reconnais, il est expéditif, c’est déjà luiqui a constaté le décès de celle… À cette seule pensée, tout monsang se porte à mon cœur, et je regarde le cadavre… le cadavre del’assassin. Car c’est lui qui l’a tuée, comme il m’avait tuémoi-même…

« – Docteur, dis-je au médecin, un tristesoin vous amène encore dans cette demeure.

« – Oui, je me souviens, murmure-t-il enjetant sur le corps un coup d’œil distrait.

« – La congestion ne pardonne pas, et monpauvre ami…

« Le médecin prend un airentendu :

« – Monsieur, l’afflux de sang dans unorgane, sain d’ailleurs, provient d’un trouble permanent oumomentané dans le centre d’impulsion circulatoire. Les organes lesplus vasculaires, tels que le poumon, la rate, le foie, le cerveau,sont ceux dans lesquels on remarque le plus souvent ce phénomène…Ici (et il se baisse sur le cadavre) la congestion de sang a eulieu dans l’encéphale. C’est ce que nous appelons apoplexie… Chezle sujet le tempérament était sanguin, pléthorique ; la têteétait volumineuse, le col ouvert…

« Je tire de ma poche une vingtaine dedollars en or. Il continue sans paraître y prendre garde, de lamême voix monotone :

« – L’excès des travaux intellectuels estaussi une cause déterminante de l’apoplexie sanguine… Quoiqu’ellesoit ordinairement soudaine, la maladie est souvent annoncée pardes maux de tête, des éblouissements…

« Je lui glisse dans la main les vingtpièces d’or ; il prend un morceau de papier, l’enflamme au feud’une allumette, le fait négligemment passer sous les narines ducadavre.

« – Hélas ! lui dis-je, il n’y aaucun espoir ?

« Il me regarda d’un airétonné :

« – Hélas ! cher monsieur, aucun. Lamort remonte déjà à plus de douze heures…

« – En effet !

« Et je le reconduis jusqu’à la porte. Jelui serre la main. De par la science Turnpike est mort.

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