Histoires incroyables

XX

C’est qu’en vérité, ils me croient fou. Il n’ya pas à s’y méprendre. La chose est grotesque, sur monâme !

Ah ! ah ! voyez donc ce bon visagede ma garde-malade qui ne s’approche de mon lit qu’avec hésitation,comme si elle avait peur d’être mordue. Et cet excellentdocteur ! Comme il a bien ce sourire railleur, qui peint lasupériorité de l’homme raisonnable sur le fou. Non,sérieusement, ils m’amusent. Ils font tout ce qui est en leurpouvoir pour ne pas m’irriter. Non seulement, ils mecroient fou, mais dangereux. Qui sait ? Pourquoi pashydrophobe ?

Mais pourquoi me croient-ilsfou ? Je n’en sais réellement rien. J’y songe. Peut-êtresuis-je vraiment fou pour eux. Pour les intelligences quise sont arrêtées à la moyenne du développement, ceux-là sont fousdont les sens ont atteint une hyperacuité qui les étonne.Je suis au-dessus du niveau commun : donc pour eux je suisfou.

Qu’est-ce que la folie, en effet ? Sinonla perception de l’inconnu, la pénétration dansun monde dont les cerveaux obtus n’ont pas la compréhension. Le ferrouge paraît fou au fer noir. Et cependant, il n’est rouge queparce qu’il s’est assimilé des atomes de calorique dont le fer noirest dénué. Mes organes cérébraux sont ultra-échauffés, etleur rayonnement étonne, effraie les cerveaux froids. La folie estencore la spécialisation. Tandis que l’organe de l’hommesensé (à ce qu’ils prétendent) dispense ses forces activessur cent points qu’il touche à peine, le cerveau du fou(cette appellation est burlesque) sait concentrer toute sa vitalitésur un centre unique. Ce qu’ils nomment monomanie n’estque la spécialisation des facultés pensantes en une étudeparticulière. C’est un développement extra-humain de lapuissance analytique. Pourquoi les analystes traitent-ilsde fous les synthétistes ?

Et cet homme, non seulement prétend que jesuis fou, mais encore il a l’audace ridicule (ridicule, car j’enris, sur mon âme !) de vouloir me guérir. Qu’entend-il par cemot, me guérir, sinon m’amoindrir ? sinon éteindre en moicette superfaculté qui est à la fois ma vie et monorgueil.

Les détromperai-je ? Leur prouverai-jeque je suis plus sain d’esprit qu’ils ne le sont eux-mêmes ?Non seulement plus sain, mais encore doué d’une santé absolue,tendant à la perfection même par le développement de l’organe. Celadépend. Si fou que je sois, je n’ai pas perdu la mémoire ; etje me souviens que les protestations ne font le plus souvent queles rendre plus entêtés dans leurs idées. Et puis à quel degré mecroient-ils arrivé ? Suis-je dans la période croissante ou aucontraire en voie de guérison ?

J’attendrai, et je rirai à mon aise, endedans, de l’ignorance de la science. Et quand, de son airdocte, le médecin aura déclaré que je suis guéri, j’éclaterai derire, et je lui crierai :

– Imbécile, qui ne sait pas que ledelirium tremens n’est qu’une combustion.

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