Histoires incroyables

XXVI

Comment agir ? Double danger. D’une part,il ne faut pas donner l’éveil à Golding, il faut qu’il aitconfiance en moi. D’un autre côté, je dois être surveillé.Oh ! certainement, puisque je suis fou, on doit craindrecontinuellement que l’accès ne se déclare. Il y a évidemmentquelque part, et sans que je le sache, un point d’où quelquesurveillant m’examine et m’écoute. En tout cas, comme je ne saisrien encore à cet égard, il faut être prudent. Si l’on pensait queje m’occupe de Golding, peut-être me séparerait-on de lui. Etalors ! plutôt cent fois mourir, que de faire naufrage si prèsdu port…

Mais cette surveillance, quelle qu’elle soit,ne doit pas être incessante. J’admets que de temps à autre legardien jette – par où donc ? – un regard dans ma chambre.Mais si rien ne sollicite son attention, il est évident que ce coupd’œil est seulement machinal, qu’il regarde et voit à peine, que letout n’est fait que par acquit de conscience, et pour exécuter uneconsigne.

De plus, cette surveillance peut être activeau commencement de la soirée, mais plus tard ! oh ! plustard, elle se fatigue certainement. Je dois me régler sur cesprévisions, qui sont exactes. J’ai deux sens à exercer, l’ouïe etla vue. Mon attitude, pendant que je regarde, pourraitéveiller l’attention. Donc pendant les premières heures,j’écouterai.

Il sera bientôt six heures. Je me suis étendusur mon lit comme pour me reposer, dans une attitude naturelle.Rien de forcé. J’ai les yeux ouverts, mais pour ne pas lesfatiguer, je leur ai ordonné de ne pas voir. Le travailqui s’opère dans mon cerveau doit absorber toute mon activité, etde mes sens, celui-là seul doit agir, auquel je le commande.

En ce moment, j’écoute. Mais encore, jen’écoute, encore bien que je les entende, aucun des bruits quisurgissent dans la maison. J’entends le pas des gardiens,faisant leur ronde dans les corridors ; mais j’écoute ce quise passe dans la chambre de Golding.

Il marche, lentement, de long en large, il vade la porte à la fenêtre. Il ne parle pas ; aucun son nes’échappe de ses lèvres. Oh ! j’en suis sûr. Je sais que parla tension voulue que j’exerce sur mes facultés, l’ouïes’est développée en moi d’une façon extra-naturelle. Calculez donc,puisque toute ma force, toute mon énergie de sensation, au lieu dese disséminer sur mes cinq sens, se concentrent en un seul. Un,deux, trois, quatre, cinq… six ! Voici l’heure !Écoutons.

Il se passe quelque chose. Je l’aurais juréd’avance. Golding s’est arrêté brusquement. Il a semblé entendrequelque chose. La tête s’est penchée en avant comme pour écouter.Je le sais, parce que j’ai entendu son corps peser tout entier surla pointe des pieds. Un meuble a remué, c’est qu’il a posé sa mainsur le dossier pour ne pas perdre l’équilibre. Ah ! ses talonsont de nouveau touché le plancher. Nouveau tressaillement dufauteuil. Il a abandonné ce point d’appui. Il reste immobile. Puis,voilà que d’un pas lourd, méthodique, régulier, d’un pas qui n’esten quelque sorte que l’ombre de cet ancien pas que jeconnaissais, il s’est approché de son lit. Il ne le défait pas, carje n’entends pas le froissement des draps. Le lit craque dans toutesa longueur, Golding s’est étendu.

Alors, oh ! alors ! je perçois unbruit sourd, que je reconnais. C’est sa respiration. Elle estlente, à deux temps, comme le soufflet d’une forge. Ce n’est pas lesouffle de l’homme qui dort. Je ne me trompe pas, j’en suiscertain : Golding est éveillé ! Et sa respirationmonotone continue à se faire entendre, pour moi seul. Elle n’estpas égale comme son. Parfois, je saisis un soupir plussonore, qui me rappelle les hou ! de Black-Castle, mais commesi la bouche d’où ils s’échappent était serrée sous un bâillon.

Je suis impatient… Mais non, l’heure passe.J’attendrai encore. Je ne veux rien précipiter. D’ailleurs, jeperçois encore autre chose. Il se remue sur son lit. Ses brasheurtent quelquefois la cloison, ses jambes s’étirent comme sielles étaient mues par un ressort et vont frapper l’un des montantsdu lit… Cela est la lutte, c’est la persistance mécaniquede l’effort qui lançait sur Golding ses deux acolytes. Est-ce biencela ? En ce cas, la chose est simple. Il faut que, continuantmon travail d’excitation du sens visuel et du sens auditif, jeparvienne à lire dans Golding comme dans un livre ouvert, àentendre l’écho de ses pensées, à percevoir ces mots qui seformulent dans son cerveau…

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