Histoires incroyables

I

– Ah !

– Quoi ?

– Vous ne savez pas la nouvelle ?

– Non, vraiment !

– Alors, vous n’avez pas lu ?

– Lu ?

– Le Sunday Herald ?

– Non, sur ma foi !

– Alors, je comprends que vous ayez l’airindifférent… mais quand vous saurez…

– Voyons, j’ai des occupations… Ne me retenezpas inutilement.

– Inutilement ! (Après une pause.) IL estmort !

Il n’y a dans aucune casse d’imprimerie delettres assez fortes, assez grasses, assez monumentales pouraccentuer cet IL. IL… vous comprenez bien, il ne s’agit pas dupremier venu, de celui-ci ou de celui-là, de vous, de moi, del’homme qui passait hier dans la rue. Cet IL constitue à lui seultout un drame, il résume toute une situation… IL est comme le Dieudes chrétiens, IL est celui qui est ou plutôt qui a été, celui quiseul préoccupe, qui seul intéresse, dont le nom seul vibre aumoindre effort dans celui qui l’a entendu…

IL… c’est celui dont nos deux interlocuteurssont les héritiers. Oh ! point n’a été besoin de le nommer. Ilest mort. Eh ! qui donc peut être mort, sinon LUI ? Quele ciel tombe sur la tête de toute l’humanité, que m’importe ?mais qu’une chiquenaude l’ait blessé, LUI ! Vous n’aurez pasbesoin de me raconter le fait. L’indiquer suffira, je devineraitout, plus encore même. J’inventerai, je supposerai. IL estmort !… et enterré, n’est-ce pas ? Il n’y a pas à revenirlà-dessus ? C’est bien fait, bien achevé, bien complet ?Et l’héritier ferme à demi les yeux ; gourmet qui déguste, ilrépète tout bas ces trois mots : Il… est… mort !…mort ! mort !

Comme il est possible – voire même probable –que le lecteur n’est pas doué de cette faculté toute spéciale à cetanimal qui a nom : héritier, je ne le tiendrai pas ensuspens.

IL, c’est Arthur Simpson, du Kentucky, grandpropriétaire, riche de trois millions de dollars… Des deuxhéritiers, l’un a dit d’abord :« Ah ! » et l’autre a répondu :« Quoi ? » Ah ! s’appelleGeorgy Simpson, c’est le propre cousin d’Arthur.Quoi ? c’est master Julius Tiresome, cordonnier, etnon moins propre cousin du mort. Point cousins d’un mortquelconque, d’un mort de contrebande, d’un mort de médiocrecatégorie. Loin de là, le mort appartient à une classe superfine…c’est le mort aux trois millions. Et, se disent-ils, nous sommesson cousin !

Et comme Georgy Simpson, épicier, était sûr deson effet ! Comme il s’est, du premier saut, élevé aux plushauts sommets de l’art éloquentiel ! Il a gradué seseffets. Un homme qui se sentait déjà propriétaire de quelquescentaines de mille dollars, ne dit pas brusquement,naïvement : « Eh ! vous savez, le cousin Simpson estmort ! » Fi donc ! cela est bon pour les petitesgens. Hier, oui, mais aujourd’hui c’est écrit en toutes lettresdans le Sunday Herald. Voyez plutôt.

« L’honorable Arthur Simpson, duKentucky, est mort subitement ce matin. On attribue son décès à larupture d’un anévrisme. On se rappelle que M. Simpson étaitl’ami de notre regretté Turnpike, auquel la jeune Amérique estredevable de tant de progrès industriels et qui, dans sareconnaissante affection, avait laissé à Arthur Simpson sa fortune,évaluée à un capital d’au moins trois millions dedollars. »

Trois millions ! c’est imprimé, nous nel’inventons pas ! Et… et nous sommes soncousin !

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