Histoires incroyables

X

Mon parti était pris : dussé-je vivrecent ans, j’aurais employé le reste de ma vie à percer lemystère.

Je passerai sur quelques détails qui cependantnécessitèrent de ma part un véritable travail. Oh ! je nereculai devant aucune fatigue.

Je sus d’abord quels étaient les deuxgentlemen, amis de Golding.

L’un était le révérend Pfoster, qui édifiaitses chères brebis par ses prêches pleins de douceur et de charité.Je l’écoutai, comme jamais prédicateur ne fut écouté. Et, envérité, c’était un habile parleur… mais que m’importe sa faconde ouson habileté ? Je le suivis tout un jour, je le vis entrerdans la maison des pauvres et porter des secours aux malades. Je levis, d’un pas calme et mesuré, parcourir les rues et saluer d’unsigne de tête les enfants qui passaient. Mais ce que je vis aussi –et que me faisait tout le reste ? – c’est qu’à six heures ilquittait l’endroit où il se trouvait, quel qu’il fût, et que de sonallure qui devenait alors saccadée – comme saccadé était le pas deGolding à six heures – il allait, sans s’arrêter, vers la maison debriques rougeâtres.

L’autre – le troisième – était un bon vivant.Sur mon âme, il fallait avoir l’esprit bien soupçonneux pour ne pascroire à la vertu de cet excellent homme, toujours souriant,passant sa vie au cercle, à table ou au jeu, aimant les jeunes genset se mêlant volontiers aux parties que nos jeunesflirters organisent avec les blondes filles de l’Union.Comme il savait galamment – et avec quel sourire ! – offrirson bras à la plus rose de nos adorables misses…

Oui, jusqu’à six heures !

Car – décidément – cette heure est fatale.

Elle sonne dans la vie de ces trois hommescomme tombe le battant sur la cloche de cuivre. Et leur âme tintesous ce coup, et frissonne longtemps encore après que le son s’estéteint !

Comme je les tenais bien tous les trois !J’avais tracé autour d’eux un cercle cabalistique dont mon regardétait le centre, dont leur vie était la circonférence. Je lesvoyais s’agiter. Je les couvais de l’œil. Oh ! ilsm’appartenaient bien, et quelle jouissance j’éprouvais à medire : Ils ne se doutent de rien.

J’étais dans leur ombre, dans l’air qui lesenvironnait. Je surgissais auprès d’eux alors qu’ils nesoupçonnaient pas – et comment l’auraient-ils soupçonné ? –que quelqu’un les épiait…

Je remarquai encore ceci.

Avant six heures ils ne seconnaissaient pas. Feignaient-ils de ne pas se connaître ? Jene pourrais pas l’affirmer et, cependant, quand, plusieurs fois, jeles vis se rencontrer, se croiser en se touchant du coude, ou secédant mutuellement le pas sur un trottoir trop étroit, jamais jene surpris – et il fallait qu’il fût impossible de riensurprendre – un regard, un clignement d’yeux.

À Golding, je parlai du révérend Pfoster, dujoyeux Trabler (c’était le nom du troisième gentleman) : pasun pli de son visage ne tressaillit, pas une fibre de son front nes’agita… Une fois – oh ! c’était hardi ! – je luidemandai où il demeurait. Je crois, Dieu me damne ! qu’iln’entendit pas d’abord ma question. J’insistai avec un sauvageplaisir. Lui, délibérément, me répondit : Là-bas, auBlack-Castle.

Au château noir ! c’était bien le nom dela maison de briques !

Et il continua de causer, comme si question etréponse eussent été des plus simples.

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