Histoires incroyables

V

Ils n’ont eu garde – comme bien on peut lepenser – de manquer au rendez-vous assigné par l’homme de loi.Est-il rien de plus intéressant que l’ouverture d’un testament pourdes héritiers ? Pour le testament, l’amant – s’il étaithéritier – déserterait le premier rendez-vous accordé par lamaîtresse.

Le commis a désigné du doigt les pièces.

Mais il est bien volumineux, cetestament ! Voyez donc : c’est une sorte de livre, lesfeuilles s’ajoutent aux feuilles. Diable de bavard ! il étaitsi simple d’écrire trois lignes : « Je lègue,etc. », avec l’indication des biens, « à mes héritiersci-dessous dénommés » – et puis une liste des parents. Siquelques lignes de plus étaient nécessaires, c’eût été pour desdispositions particulières, l’indication d’une faveur faite à l’undes héritiers. Mon Dieu ! on en serait encore passé parlà.

Mais il y a au moins cent pages. Cent pagespour cinq héritiers, et trois malheureux millions de dollars.Prodigalité ! Et il va nous falloir entendre tout cela !Des phrases ! des phrases ! comme dit le poète. Aprèstout, c’est l’affaire de deux heures, peut-être trois. Mais encore,c’est du temps perdu. Et ils ont à faire, ces héritiers. Unhéritier n’est donc plus un homme ! Il ne s’appartient doncplus ! Il est donc devenu la propriété, la chose du mort, quecelui-ci puisse ainsi disposer de son temps, d’une portion de sonexistence… ! Vraiment, ces morts ont d’incroyables façonsd’agir.

Chut ! le moment est solennel. Lesolicitor, assisté d’un de ses confrères, est entré dans sonoffice. Il a salué en rond les héritiers qui se sont inclinésjusqu’à terre, devant le représentant, – non du testateur, – maisdu testament.

Il a un singulier visage, Master ThomasEater : il est pâle, alors que ses confrères sont d’ordinairegras et roses. Ses yeux sont caves et cerclés de noir, comme lebout d’une lorgnette. Sa lèvre a des plis incompréhensibles. Cen’est pas le sillon du rire, non plus que le rictus de lasouffrance. Cet homme est funèbre…

Évidemment, il n’a pas lu le testament :il ne l’a pas pu, puisqu’il était cacheté. Et cependant leshéritiers interrogent ce visage, comme si une impression fugitivepouvait être surprise. Mais voilà qu’il s’est assis…

Il est dix heures du matin ; c’est unjour sombre, que d’épais rideaux rendent plus obscur encore.Comment pourra-t-il lire ? En vérité, il semble qu’il luimanque la clarté nécessaire… et cependant il ne paraît point s’enpréoccuper. Il prend le manuscrit, déchire l’enveloppe, le pli desa lèvre se dessine plus profond et plus inexplicable… Ses yeux seportent sur la première page… Il commence.

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