Histoires incroyables

IV

L’interrogatoire avait produit sur l’auditoireune pénible impression ; plusieurs fois des murmures s’étaientélevés aux réponses de l’accusé, qui, d’ailleurs, protestait sansénergie contre l’accusation ; il semblait n’attacher au dramequ’une importance secondaire et paraissait ressentir pour lavictime l’indifférence qu’il s’attachait à montrer pour samaîtresse. Il n’y avait aucune forfanterie dans la façon dont ils’exprimait. Il répondait avec la précipitation d’un homme à qui iltarde d’échapper à une formalité ennuyeuse.

Pendant la courte suspension d’audience quisuivit l’interrogatoire, je demandai à Maurice ce qu’il pensait detout cela.

– Oh ! oh ! me dit-il, vous allezvite en besogne. Ne pensons jamais si promptement. Laissons-nousd’abord entraîner à l’impression du moment.

– J’avoue, interrompis-je, que cette premièreimpression est absolument défavorable à l’accusé…

– Qui vous dit que je ne sois pas de votreavis ? Nous avons choisi cette affaire au hasard ; sasimplicité peut rendre inutiles toutes recherches de notre part. Entout cas, nous ne perdons pas notre temps. Écoutons etattendons.

 

L’audition des témoins commença.

TREMPLIER, concierge de la maison, répéta lesdétails déjà consignés dans l’acte d’accusation ; il avait vuBeaujon s’élancer, nu-tête, hors de la maison. Un mouvementirraisonné l’avait porté à l’arrêter au passage. Il n’avaitd’ailleurs aucun soupçon. Mais l’attitude de Beaujon lui paraissaitextraordinaire.

D. – N’a-t-il prononcé aucune parole au momentoù vous l’avez arrêté ?

R. – Non, il se débattait en poussant des crisinarticulés. Je le croyais fou.

D. – Quel était le caractère deDefodon ?

R. – C’était un brave jeune homme, mais un peutrop noceur, d’autant qu’il était d’une mauvaisesanté ; il avait à tout moment des mouvements nerveux, quandune porte se fermait trop fort, au moindre bruit… mais c’était unbon garçon, et pas chiche du tout…

D. – Que savez-vous sur les relations del’accusé avec la fille Gangrelot ?

R. – Ah ! ça, c’est une traînéecomme il y en a beaucoup (ici quelques expressions troppittoresques qui excitent l’hilarité et que nous nous abstenons dereproduire).

D. – Les deux jeunes gens se cachaient-ilsl’un de l’autre dans leurs relations avec elle ?

R. – Pour ça, je n’en sais rien… je croispourtant qu’elle aimait mieux M. Defodon.

Trois personnes avaient entendu du bruit dansla chambre de Defodon et étaient accourues les premières aux crispoussés par Beaujon.

LA DEMOISELLE RATEAU (Émilie), dix-neuf ans,sans profession, était occupée, dit-elle, lorsque des criss’échappèrent de la chambre qui n’est séparée de la sienne que parune cloison. La personne qui était avec elle s’élança au dehors etelle la suivit.

Elle a trouvé Defodon étendu par terre enchemise. Il ne remuait plus.

D. – Avez-vous entendu parler haut… quelquechose comme une querelle ?

La demoiselle Rateau hésite, puis répond enbaissant la voix, qu’elle ne faisait pas attention, à ce moment-là,à ce qui se passait à côté.

Le sieur BARNIOLI (Giacomo), rentier,quarante-cinq ans, était en visite chez la fille Rateau. Il affirmeavoir entendu des éclats de voix qui lui semblent, bien qu’il nepuisse l’affirmer, indiquer une querelle. Puis une porte s’étaitouverte violemment, et quelqu’un s’était élancé sur l’escalier. Ila cru alors à un accident, et obéissant à une première impulsion,s’est élancé pour porter secours si cela était nécessaire.

À une question du président, qui insiste surle point de savoir s’il y avait ou non querelle, le sieur Barniolirépond qu’il n’a pas bien remarqué, mais que cependant les éclatsde voix ne lui ont pas paru résulter d’une conversationamicale.

LAVORIT (Gustave), étudiant, vingt-trois ans,travaillait dans sa chambre, au-dessus de celle qu’occupaient en cemoment ces deux jeunes gens. Il a entendu du bruit et estrapidement descendu. Il a trouvé Defodon sans mouvement.

Le DOCTEUR MERCIER, trente ans, habite lamaison. On est allé aussitôt le chercher, et il a tenté de donner àDefodon les premiers soins. Mais il a reconnu aussitôt que touteffort était inutile. Les marques des doigts étaient très visiblessur le cadavre. Defodon était vêtu seulement de sa chemise, lesjambes et les pieds nus. Évidemment, il s’était levé précipitammentou avait été tiré de son lit. Les couvertures étaient rejetées, letapis dérangé.

Lorsque Beaujon est remonté, ramené par leconcierge, il était extrêmement pâle, et, au premier coup d’œiljeté sur le cadavre, il est tombé en faiblesse, sans proférer uneparole. Le témoin connaissait fort peu les deux jeunes gens et nepeut fournir sur leur caractère aucun renseignement.

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