Histoires incroyables

II

Ils sont en face l’un de l’autre. Il y a unmoment d’arrêt. Qui parlera le premier, maintenant ? et quedira-t-il ? Il serait peut-être convenable de prononcerquelques paroles de regrets… car, après tout, quoique noussoyons ses héritiers, ce n’en était pas moins un homme… etpuis, de son vivant, nous n’avons jamais eu à nous plaindre de lui…et puis… et puis…

Mais ces deux hommes se regardent. Un mêmesentiment les agite, les envahit, et ils partent tous les deux d’unéclat de rire. La glace est rompue. Sans dire un mot, ils rient etse serrent les mains. N’insistez pas, ils danseraient…

Un nuage sur ces deux fronts. Une penséenouvelle et attristante. Serait-ce donc un remords de cette joieinconvenante ? Après tout, ce premier mouvement étaitpeut-être involontaire, nerveux, comme l’on dit. On a vules plus grandes douleurs se manifester par le rire… Mais ne croyezpoint cela. C’est plus naturel, et la pensée qui jette sur leurvisage cette teinte grisâtre et mélancolique, ombre qui voile unsoleil naguère si radieux, se formule ainsi :

« Il y a d’autresparents ! »

Cette pensée fait lame. Elle tombe sur legâteau d’héritage comme un couteau à plusieurs tranchants, et ledivise en tranches qui, au premier coup d’œil, paraissentimperceptibles. Ils ne se sont rien dit, ces deux hommes, et ils serépondent : « Oui, il y a Smithlake ! – Et missStroke ! – Et Steney ! » Calcul rapide. Trois etdeux font cinq. Trois millions divisés par cinq, restent à chacunsix cent mille dollars. « Eh ! eh ! en somme, sixcent mille dollars ! c’est encore un chiffre. Pas vrai,compère ? – Mais, oui… » Et le nuage s’écarte et lesoleil reparaît.

« Ces intrus, – intrus est le mot, –savent-ils la nouvelle ?… Non, évidemment. Si on pouvait laleur cacher ! Ah ! ce serait une victoire… Mais,bast ! les solicitors vont prendre l’affaire en main, et ilschercheront et ils trouveront… Il est donc inutile d’y songer, àmoins que… dame ! on ne sait pas, nous sommes tous mortels…Depuis combien de temps les avez-vous vus, compère ?… Si peude temps que cela ! Ah ! c’est fâcheux… Du moins, il yaurait eu quelque intérêt à prendre des informations. Voyez !il ne peut y avoir de satisfaction complète… et puis miss Strokeavait une si mauvaise santé… Vous verrez qu’elle mourra dansquelques mois… Et ce seront de nouveaux embarras, des dérangements…elle aurait bien mieux fait… Enfin, encore des ennuis enperspective.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer