Histoires incroyables

X

« Ils sont partis ! Car ce n’est pasà Green-House qu’ils se marieront… Moi, j’ai refusé de les suivre.J’ai prétexté une indisposition… pas de banalités ! Je seraisallé au temple, je les aurais accompagnés jusqu’au seuil de lachambre nuptiale… tout cela m’aurait préoccupé, détourné de monbut… Car j’ai un but aujourd’hui, je le connais… et nul que moi nele connaîtra, tant que je vivrai, excepté lui,mais alors vivra-t-il ?

« Non, je suis resté à Green-House… Jesuis bien informé… c’est aujourd’hui qu’ils se marient… et je veux,seul avec moi-même, causer encore avec mon âme et étudier une à uneces hideuses sensations que je prévois, et dont pas unfrissonnement ne doit m’échapper. J’ouvre un grand livre, et lajournée et la nuit qui vont s’écouler doivent être inscrites à lapage du débit. À la page du crédit, je ne metsqu’un mot : Haine ! !C’était là ce quedisait mon âme en un son unique résumant toute la symphonie del’enfer…

« Ce jour commence. Je n’ai pas voulu enperdre une seconde. Car je sais qu’en ces heures je vivraitoute ma vie passée et tout mon avenir. Je me suis levé avantl’aube, seul, dans la grande maison. Je me suis mis à la fenêtre,la nuit va finir. Le ciel a des teintes d’azur sombre, derniereffort des ténèbres contre la lumière inévitable. Les étoilespâlissent, parce que l’ennemi vient, le soleil qui les absorbetoutes, tyran jaloux, dans son rayonnement…

« À cette heure, que font-ils ?… Ilsne sont pas encore unis. Ils forment encore deux personnalitésdistinctes, physiquement et moralement séparées. L’un ici, l’autrelà, éloignés l’un de l’autre au moins de l’épaisseur d’unecloison…, d’un mur peut-être. Grand point. Je ne perdrai pas unatome des sensations que je veux étudier… Je me promène dans leparc, j’ai besoin de cette fraîcheur, car tout à l’heure encore jeme suis aperçu que ma tête brûlait. Et je ne le veux pas. Toutesurexcitation irait en ce moment contre mon but… je sais que jevais souffrir. Il faut que mon cerveau soit froid, quetoutes mes facultés d’examen soient à l’état normal, afin que jepuisse suivre les convulsions de mon âme, comme le chirurgienpenché sur le corps du patient. C’est un terrible et difficiledédoublement à accomplir… j’y parviendrai…

 

« Huit heures. Ils sont levés,ceci ne fait pas doute. Quoique je ne voie pas, jesais. Car il y a quelques minutes, il s’est produit unchoc en moi. Ce qui s’explique. Une partie de ma force initiativeest dirigée vers lui, l’autre vers elle. Quand ils se sont serré lamain, il s’est trouvé que ces deux parties du moi se sonttouchées, combinées. Maintenant l’objet de l’étude, quoique doubleen essence, est simple en pratique… mes dents se sont serrées, lesang a battu mes tempes. Ceci est mauvais. Je ne veux pas que moncorps partage les angoisses de mon âme. Oh ! ce ne sera ainsique pendant les premières heures ; peu à peu je me domineraimieux. Il ne s’agit pas seulement ici de sourire tandis que moncœur éclate, il faut que mon corps tout entier soit indifférent,neutre. Plus encore, il faut que de mon cerveau je fasse deuxparts, l’une conservant intactes, calmes, ses facultésanalystes ; l’autre, au contraire, livrée à la douleur commele corps d’un nègre aux dents de la bête féroce. Le cerveauanalyste regardera le cerveau torturé. C’est une division de fibresqu’il s’agit d’accomplir…

« Cette lutte est terrible… l’équilibres’établit difficilement.

« Midi… Je me relève, mécontentde moi-même… Tout à l’heure, j’ai senti qu’ils entraient au temple,et je suis tombé à terre comme une masse… Je n’ai pas été maître demon sang, qui a afflué au cerveau comme si la digue, – ma volonté,– se fût tout à coup rompue. Il faut avoir recours à des moyenshumains. De l’eau sur la tête, sur le front, sur tout le corps… Sicet évanouissement avait duré, comprenez-vous que je ne meserais pas senti souffrir ?… et c’est justement cettesensation que je veux… Cette eau m’a fait du bien. Étudionsmaintenant… Ah ! mon âme, je vois ce qui t’a frappée, jecomprends le choc qui s’est répercuté sur mon corps… Quand on monteune côte élevée, l’ascension est lente, on va péniblement, onmonte, on monte encore. Puis, tout à coup en un point… pointunique… on se trouve sur un plan. L’ascension est finie, ladescente va commencer. En ce seul point, on ne montait, ni on nedescendait… Au moment où le pasteur les a unis, j’ai achevé demonter la côte, je me suis trouvé sur ce point mathématique quisépare les deux déclivités.

« En ce lieu, il y avait pour moi fin dupassé, commencement de l’avenir. Je ne suis plus l’homme quej’étais tout à l’heure… L’avouerai-je ? Tout à l’heure, il yavait encore en moi je ne sais quelle folle lueur d’espoir… Si celan’était pas !… Or, cela est. J’étais le torturé qui doute,alors même qu’il voit les instruments grincer devant lui de leursdents de fer… qu’on applique sur le chevalet… qui douteencore ! Mais tout à coup une vis a tourné, il a senti le crocmordre sa chair… il s’est dit, dans une pensée à peinesaisissable : C’est fait ! Or, le croc m’a mordu.

« Eh bien ! les martyrs chrétiens,au milieu des tourments, par une opération d’hypnotismeinconscient, ne sentaient plus la torture, et, regardant leur corpsdéchiqueté, pensaient au ciel en qui ils croyaient… Moi, je regardemon âme pantelante sous ce brisement, et je pense… Pas au ciel, jevous jure !

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