Histoires incroyables

XIX

Un éclat de bois m’avait frappé à la tête.Rien que de très simple, en vérité. On me transporta chez moi. Jerestai de longues heures évanoui, dans cet état mixte qui n’est nila vie ni la mort : catalepsie modifiée par lasensibilité ; impuissance de motion. Perceptions vagues, commesi toutes sensations, avant de parvenir jusqu’à moi, étaienttamisées à travers un épais tissu… puis des monotonies bruissantesqui fatiguent l’oreille et les yeux ; des cercles lumineux,larges d’abord, puis se rétrécissant jusqu’à former une sorte depointe vrillée qui paraît prête à perforer les pupilles ; desbruits pâteux, comme produits par un marteau de liègefrappant sur une enclume rembourrée…

Étranges effets, en vérité, que ceux de cesperceptions anormales, auxquelles manque essentiellement lanetteté.

La pensée elle-même semble un écheveauinextricable dont, instinctivement, vous cherchez incessamment lebout. Tout cela se mêle. C’est une toile d’araignée, dans laquellel’idée a les pattes saisies, qu’elle veut secouer et où elles’embourbe… et cet autre bruit de cymbales étouffées, pareil àcelui que produit un coquillage de mer appliqué hermétiquement surl’oreille !

La fièvre travaille le cerveau, et construit,avec des matériaux arrachés à quelque kaléidoscope inconnu, desarabesques étranges… puis c’est un drame qui se joue entre lesparois du crâne, les personnages ont des proportions colossales etvous craignez qu’ils ne se brisent la tête au plafond, qui estvotre crâne. Ou bien, ils se rabougrissent si petits, si petits,que vous avez peur qu’ils ne se glissent dans les labyrinthes devos nerfs et de vos muscles. Parfois ils parlent si bas, que vousêtes obligé de concentrer toute votre attention pour saisir leursparoles : d’autres fois, leur voix est puissante et a deséclats de trompette…

Pendant que le marteau de liège frappetoujours sur son enclume de soie, que les cercles tournent devantvos yeux avec une rapidité vertigineuse, que les cymbales étoufféessemblent broyer une impalpable poudre d’acier sonore.

Un matin – il y avait bien longtemps quej’avais perdu la notion du temps – j’entendis des pas auprès de monlit. Oui, c’étaient bien des pas. J’avais souvent perçu ce bruit,mais jusque-là il m’avait semblé que c’était le choc d’un moulindans l’eau. Cette fois je sus que c’étaient des pas.

J’ouvris les yeux et je vis une figure devantmoi, placide et souriante. Je reconnus le docteur Gresham.

– Eh bien ! me demanda-t-il, comment voustrouvez-vous ?

– Je me retrouve, lui dis-je.

En effet, il me parut que j’opérais ma rentréedans un monde quitté depuis longtemps, et que je reprenais laperception d’un moi que j’avais oublié. J’apprisalors que pendant tout un long mois j’avais été entre la vie et lamort. Cette expression me paraît juste. Oui, j’étais réellement àégale distance de ces deux états, qui sont l’un et l’autre uneplénitude. Je ne vivais pas, car je ne savais pas. Je n’étais pasmort, puisque je n’avais pas le repos. C’est bien cela. Entre lesdeux. La vie me jetait des échos dans le demi-silence au delàduquel m’entraînait la mort.

Foin de la force humaine ! Un méchantéclat de bois suffit à détraquer l’organisme, et de cette penséedont nous sommes si fiers, un pauvre petit choc a si viteraison !

Je ne mourus pas.

Mais pourquoi avait-on appelé auprès de moi ledocteur Gresham ? Ce fut la première idée qui traversa monesprit. Ce n’est pas un médecin ordinaire que le docteur Gresham.Voyons ! rappelons-nous donc quelle est sa spécialité ?Cet effort me fatigue, mais peu importe ! il faut que je mesouvienne.

Et pendant l’abattement qui succède à cepremier effort de la vitalité renaissante, je rumine cettequestion ! Qu’est-ce que le docteur Gresham ?

Ah ! voilà, je me souviens !malédiction ! Est-ce que ?… moi, allons donc, ce n’estpas possible. Je suis trop maître de ma pensée pour qu’elle ait pum’échapper à ce point…

Et pourtant, c’est bien vrai. Oui, oui, je neme trompe pas. Mes souvenirs se réveillent avec l’exactitude laplus saine.

Le docteur Gresham est le MÉDECIN DESFOUS !

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