Histoires incroyables

XXIII

Je suis descendu dans le parc, afin de prendrel’air. Le docteur Gresham est venu me rejoindre. C’est maintenantqu’il faut user d’habileté. Il m’a pris le bras et a fait avec moiun tour de promenade. Il paraît très satisfait de ma docilité. Ilme parle doucement, comme on fait à un enfant qu’on ne veut pasirriter. Je ne lui adresse pas une seule question. Je me contentede répondre par des monosyllabes. Je tiens les yeux à demi fermés,je ne veux pas qu’il lise ce qui se passe en moi… Tenez, voilàjustement que nous sommes dans l’allée où marche Golding. Oh !je voudrais presser ma poitrine de mes deux mains pour empêcher moncœur de battre aussi fort. Je suis sûr que je pâlis. Mais non. Dela force, il faut qu’il ne se doute de rien…

Golding nous a vus. Il s’est arrêté. Sur monâme, il m’a reconnu. Il vient à moi, mains ouvertes. Que ne puis-jesaisir ces mains et l’entraîner, lui, dans un endroit où ilm’appartiendrait, à moi seul, où je pourrais promener le scalpel demon observation dans ce cerveau, qui contient mon secret…Dois-je le reconnaître, moi ? Oui, en vérité. Le docteurparaît enchanté de cette rencontre, dont il me semble augurer lesmeilleurs résultats. J’entends vaguement ce que me ditGolding ; il a appris mon accident, il a su ma maladie, il apris la plus grande part à mes souffrances… Je réponds avecpolitesse ; puis, tout à coup, je le regarde bien en face.D’un regard dont j’avais ménagé la force, je plonge dans ses yeux,et j’y vois – je ne me trompe pas – une immense satisfaction, unépanouissement de joyeuse placidité.

Si cet homme est fou – et je n’en crois rien –du moins cette folie est-elle doublée d’une joie intime dont seulje puis mesurer l’intensité… mais je reprendrai cet examen plustard. Il ne faut pas qu’on s’aperçoive de mes découvertes, et àpartir de cette minute je travaillerai si profondément monGolding, que pas une des fibres de son être n’échappera à monattention.

Golding m’a adressé une question.Laquelle ? Toutes mes facultés étaient concentrées dans monorgane visuel, alors que je plongeais dans ses yeux, – fenêtres deson âme – je n’ai pas entendu. « Veuillez répéter, je vousprie. – Vous savez jouer aux échecs ? En effet ? Ehbien ! si monsieur le directeur le permet, nous pouvons fairequelques matches. – Volontiers ! »

Le docteur Gresham est de bonne composition.Que lui importe après tout ? Seulement il se fait tardaujourd’hui. M. Golding doit être fatigué. À demain, cela vautmieux. À demain soir. Et nous nous séparons, et quand je serre lamain à Golding, il semble que ce soit une prise de possession decet être qui m’appartient comme le cadavre à l’anatomiste.

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