XXIX
Comment se trouve-t-il dans ma chambre ?D’où vient-il ? Qui l’a apporté ici ? Un couteau, et dontla lame paraît solide, sur ma foi. Ce n’est pas un couteau detable, ce n’est pas moi qui l’ai pris à la table du repas. On noussurveille trop. Non, non. Je me souviens. Le gardien est entré cematin ; il coupait une pomme. C’est évidemment lui qui aoublié là cet outil…
Un couteau : cela peut servir à tant dechoses. Il est bien emmanché, bien en main. Comme on donnerait unbon coup, avec cela… de haut en bas…
Le gardien est venu. Ah ! j’ai biencompris pourquoi. Il est inquiet, cet homme, il sait qu’il a laisséson couteau quelque part, et sa responsabilité s’inquiète. Il ne medemande rien tout d’abord. Il me souhaite le bonsoir, mais en mêmetemps il regarde à droite et à gauche. Moi, je suis assis toutnaturellement, sur une chaise, devant ma table. J’ai caché lecouteau dans ma manche. Pourquoi, après tout ? Il serait sisimple de lui dire : Mon brave homme ! je sais ce quevous cherchez. Voici votre couteau.
Non, je ne lui dirai rien. Tenez, voilà qu’ilm’interroge. Oh ! sans avoir l’air d’attacher à sa question lamoindre importance :
– Est-ce que par hasard vous n’auriez pastrouvé un couteau ?
– Un couteau ! ici ! oh !non.
Si vous voyiez de quel air placide jeréponds.
Il est convaincu que je dis la vérité. Commec’est chose amusante que de tromper. Il jette un dernier coup d’œilautour de lui, mais, bon gré, mal gré, il faut bien qu’il yrenonce. S’il se doutait que je le sens, là, tout près de ma chair,et que le fou – car je suis un fou – se moque in petto del’homme raisonnable.
Il est parti. Pourquoi ai-je gardé cecouteau ? Sur mon âme, je ne pourrais le dire. Mais cet acierfroid me cause une agréable sensation. On dirait – oui, en vérité –que cette sensation s’harmonise avec quelque secrètepensée de mon cœur…
Six heures ! à mon poste.