Histoires incroyables

XIII

Je suis chez moi !… enfin !… je suisrentré en courant, en fuyant. Comment ai-je retrouvé maroute ! il me semblait que j’étais entraîné dans unrhombus vertigineux. Ma tête éclate sous les coups de laharpie migraine. Confierai-je au papier ce que j’ai vu, ce que jesais ! J’hésite, car je ne puis croire moi-même à la réalitéde cette scène atroce. Et cependant cela est, j’étais bienéveillé, – oh ! oui, bien éveillé. Maintenant le cauchemardanse dans mon cerveau, dont les parois plient sous cette sarabandecomme un plancher mal lié. Étrange cauchemar, en vérité, n’étantque le souvenir d’un homme éveillé, et qui eût souhaité dedormir…

Où en étais-je resté ? Ah ! je sais…J’avais jeté l’échelle de corde sur le rebord du mur, et lescrochets avaient trouvé leur point d’appui. Je montai lentement,avec précaution. Puis, arrivé à la crête du mur, j’attirail’échelle à moi, et je la suspendis, de telle sorte que je pussedescendre. Je faisais tout cela régulièrement, sans me hâter, carje savais que j’avais tout le temps nécessaire.

Je me trouvai dans le parc. C’était, ma foi,assez loin de la maison. Je traversai plusieurs allées, et je duspasser devant la petite chapelle blanche dont j’ai parlé… Là,inconsciemment, je me sentis saisi de nouveau par uneimpression indéfinissable… le rayonnement de ce monumentaffectait mes nerfs ; mais je ne m’arrêtai pas. Je tendais àla petite porte que j’avais vue. Je l’eus bientôt atteinte. Je lapoussai. Les gonds étaient rouillés, et, en tournant, la porte fitentendre comme un râle, dont l’écho se répercuta dans l’escalier.Car, je ne m’étais pas trompé, il y avait là un escalier. La lunes’était levée de bonne heure, ce soir-là. Et sa lueur blanchâtre,se heurtant contre le cadre de la porte, découpait sur lespremières marches un rectangle éclatant. Au-dessus, l’obscurité…,une obscurité en quelque sorte humide. Il me semblaitentendre la muraille et le bois des marches craquer sous lerongement de la moisissure, dont l’odeur âcre me prenait à lagorge.

Il y avait longtemps qu’on n’était passé parlà. Mais – fait bizarre – par une sorte de révélation intuitive, ilme sembla – d’où venait cette pensée qui s’imposait à mon espritcomme une certitude ? – que c’était par là que l’on étaitsorti. Quand cela ? Je n’aurais su le dire… Cependantj’aurais pu formuler ma préoccupation : Quand s’étaientposés les termes du problème ?

Je sentais – oui, c’était plutôt un sentiment(je dirais presque une sensation) qu’une idée – que la topographiedu mystère cherché pouvait se tracer en un triangle, dont lachapelle eût été le sommet et dont la porte que je franchissais etla chambre que j’avais vue éclairée eussent été les deux autresangles.

Je m’engageai courageusement dans l’escalier.Nul bruit. J’entrouvris la lanterne que j’avais détachée de maceinture, et je montai. Mes pas ne faisaient aucun bruit. Jecomptais les marches, machinalement, uniquement pour obéir aubesoin qui me possédait de donner un aliment à mon attention.

Ai-je dit que la maison avait deux étages,sans compter un rez-de-chaussée et un sous-sol ?

J’atteignis le premier étage. Là, je refermaima lanterne, car une ouverture ménagée dans la muraille permettaità la lune d’éclairer le palier. Je vis une porte à ma droite.Évidemment elle donnait accès dans les appartements. Cependant jem’arrêtai un moment, et je réfléchis.

La fenêtre que j’avais vue éclairée était latroisième, à partir du côté de la maison regardant le parc. Donc ily avait, de l’autre côté de cette porte – qui était là devant moi –une ou deux pièces, éclairées par les deux fenêtres sombres. Deplus, sur ces deux fenêtres, je n’avais remarqué aucun reflet delumière, si léger qu’il fût. Donc, il n’existait pas decommunication directe, patente, entre ces pièces et celleque je voulais surveiller.

Ceci me décida. Je cherchai la serrure. Elles’ouvrait au moyen de ces becs de canne si fréquents dansnos vieilles maisons. Je posai la main dessus et je poussai.

La porte résista. Évidemment elle était ferméeen dedans. Mais comment ? je craignis alors d’avoir commencétrop tard et de n’avoir pas le temps de prendre toutes mesdispositions avant l’arrivée de mes hommes.

Il fallait d’abord savoir si la porte étaitfermée par un double tour ou par tout autre moyen. Il y avait uneserrure : je soufflai vigoureusement par le trou, et j’acquisla certitude que la clef n’était pas en dedans. Alors, j’ouvris denouveau le bec de canne, et appliquant en même temps mon épaule àla hauteur de la serrure, j’appuyai de tout mon effort. Jeremarquai alors que la porte cédait dans cette partie depuis lesol. C’est-à-dire qu’il n’y avait pas de double pêne, mais qu’unverrou au-dessus de la serrure retenait la porte àl’intérieur.

Oh ! je ne fus pas long à avoir raison duverrou. J’avais pris mes précautions. J’introduisis un petit ciseauad hoc dans la rainure de la porte, et lorsque j’eustrouvé exactement la place où était ce verrou, je fis pénétrer monciseau de façon à ce qu’il touchât le plat du verrou ; et,alors, par une série de petits mouvements, faisant levier, jerepoussai le verrou dans sa gâche. Je n’étais pas fatigué ;car ce travail n’avait exigé aucun effort, et cependant mon frontruisselait de sueur.

Mais courage ! Je ne suis pas ici pourm’arrêter à des détails de cette nature. Je pousse la portelentement. Car je crains encore que les gonds ne soient rouillés.Au contraire, ils glissent comme s’ils étaient posés sur unerondelle de velours.

Où suis-je ? l’obscurité est profonde.Ah ! ma lanterne. C’est une vaste pièce, toute revêtue devieux chêne, sombre et noir. Deux fenêtres. Ceci me rassure. Jen’ai pas besoin d’aller plus loin. Mais, avant tout, uneprécaution. Comment pénètre-t-on de cette pièce dans celle qui setrouve plus loin. Je promène ma lanterne sur la muraille. Nulleouverture visible, pas de porte. C’est étrange, en vérité.

Voyons l’ameublement. Auprès de la porte parlaquelle je suis entré, une alcôve, un lit de chêne, vieille forme,à baldaquin. Des rideaux en tapisserie, avec une chassequi court et grimace. Le lit est défait. Comment cela ?Quelqu’un couche-t-il donc ici ? Mais non. Je lessoulève, et la poussière forme une raie brune justement à l’endroitoù ils se séparent.

Personne ne couche là, actuellement.La chose est claire. Mais pourquoi ce lit n’a-t-il pas été remis enétat ? et depuis combien de temps ?

Depuis combien de temps Golding et sesamis se réunissent-ils là ? Il me semble queces deux circonstances doivent se rattacher l’une à l’autre.

Procédons rapidement à notre examen.

En face de la porte par laquelle je suisentré, un immense bahut de chêne. Ah ! il est plus haut quecette porte. Qui me dit qu’il n’a pas été placé là exprès pourcondamner l’issue que je cherche ? Il faudra que je trouve lemoyen de vérifier cette supposition. Les fenêtres ? ferméesd’épais volets, recouverts de rideaux en tapisserie. Bien. Quelqueschaises, des escabeaux. Un bureau dans un coin, et c’est tout. Dela poussière, beaucoup de poussière. On n’entre jamais ici. Ceci nefait plus doute.

Mais j’entends du bruit. Oui, c’est bien lagrille du parc qui tourne et grince. Pas un moment à perdre. Jevais à la porte, je la referme, je pousse le verrou, puis je tournele ressort de ma lanterne. Plus rien, plus une lueur. Je suis seul,nul ne sait que je suis ici. Oh ! comme il faitsombre !

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