Histoires incroyables

XXIV

Étant donné l’être humain, doué d’une forceénorme de volonté – c’est mon cas – peut-on s’isoler durelatif, au point de se concentrer tout entier dans unabsolu choisi, voulu, délimité par la volonté même ?Puis-je arriver à m’abstraire de tout ce qui n’est pasGolding, pour diriger sur lui seul toutes les forces de mesfacultés et de mes sens ? Il faut qu’à partir d’aujourd’hui lamachine entière devienne insensible à tout et pour tout et que tousses ressorts soient continuellement, à l’état de veille comme àl’état de sommeil, tendus vers ce but unique, qui devient monabsolu.

Ainsi Golding est là, de l’autre côté de lamuraille. En rentrant dans ma chambre, je l’ai vu ouvrir sa porte,et, d’un coup d’œil rapide, j’ai compris que son appartement étaitdisposé en sens contraire du mien. Ma chambre à coucher touche à lasienne, et, quand je regarde à ma fenêtre, tandis que mon parloirest à ma gauche, le sien est à sa droite. Donc son lit est placéparallèlement au mien. Sa tête repose sur la même ligne que matête. En me tournant du côté du mur, j’ai les yeux dirigés verslui. Un mur seul nous sépare. Épais ou non, peu m’importe. Il fautque, par la concentration de toute mon énergie vitale dans monorgane visuel, je parvienne à le voir.

Oh ! s’ils m’entendaient, comme ilsdiraient encore que je suis fou ! Cela, parce que j’admets lapossibilité de ce qui leur paraîtrait impossible. Et cela en raisonde mon organisation, plus active que la leur.

Mon idée n’a cependant rien d’excentrique.Tout corps est composé de molécules, réunies ensemble par la forcede cohésion. Un corps est d’autant plus solide et résistant que lacohésion des molécules constitutives est plus forte. Or, le bois –et ce mur est une cloison de bois, – est peu résistant. Donc lacohésion n’est pas parfaite. Donc il existe des espacesrelativement considérables entre les molécules. Donc, il estpossible au regard de devenir, par l’habitude etl’exercice, assez aigu pour se glisser à travers les poresdu bois. Donc, à travers la cloison, je puis voir Golding.

Quiconque m’eût regardé pendant cette premièrenuit n’eût pas un seul instant douté de ma folie. Je ne dormis pasune minute. Le sommeil rentrait dans cette relativité dont jedevais me débarrasser. Ou bien, la fatigue étant plus forte que mavolonté, le corps pouvait dormir à l’exception des yeux et desoreilles. Les yeux ne devaient pas, fût-ce une minute, fût-ce ladixième partie d’une seconde, négliger l’action, dont lapersistance seule pouvait centupler l’acuité. Ainsi des oreilles.Tout bruit devait passer non perçu par elles, excepté lebruit qui viendrait de la chambre à côté. Ah ! ce fut untravail pénible dans le principe, et cette première nuit futfatigante.

Je n’avais pas de lumière, mais je fixais mesyeux à demi ouverts sur la cloison. Pendant plusieurs heures,l’obscurité demeura profonde. Peu à peu, un effet déjà connu – etsur lequel je comptais – se produisit. Je distinguai dansl’obscurité, non la couleur, mais l’existence de la cloison. Mesyeux, sans saisir les détails, percevaient quelque chose quin’était pas les ténèbres.

Puisque je perçus l’obscurité, la logique nevoulait-elle pas que j’arrivasse – au prix d’une constance que rienne pourrait vaincre – au résultat désiré ?

Autre résultat obtenu : je m’étaisabsolument isolé de tout ce qui pouvait se produire autour de moi,et la lueur d’un nouvel incendie aurait pu lécher mes fenêtres…, jene l’aurais pas vu !

Mais le jour vient…, je prends un peu derepos.

Dans quelques heures, la lutterecommencera…

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