Histoires incroyables

XXVIII

« C’est une étrange chose, en vérité, quecette chasse à l’horrible, dans laquelle le gibier fuit sans cessedevant moi sans que je le puisse atteindre. Et cependant, il lefaut. Oh ! dois-je encore me rappeler les horriblessouffrances que cet homme m’a fait endurer ? Faut-il mesouvenir de ce que je suis et de ce que j’aurais pu êtresi elle m’avait aimé, moi. Et pourquoi ne m’a-t-elle pasaimé ? En vérité, la question vaut qu’on l’étudie. Elle ne m’apas aimé, parce que lui s’était emparé d’elle, et que,jaloux de ce trésor, dont il ne comprenait pas la richesse, ils’est hâté de mettre entre lui et moi une barrière infranchissable…Mais après qu’il l’eût seulement regardée, après qu’il eût murmuréà son oreille les premiers mots d’amour, est-ce que le vol n’étaitpas consommé… est-ce que, dès lors, je n’étais pas trahi ? Luidisait qu’il m’aimait. Mensonge ! Aimer un ami, c’ests’identifier tellement à lui que l’on ressent en soi-même lesimpressions qu’il ressentirait lui-même, non pas égoïstement, maisà son profit. Lorsqu’il la vit pour la première fois, est-ce qu’iln’aurait pas dû comprendre qu’il avait devant les yeux un dépôtsacré, sorte de fidéicommis qui m’appartenait et me devait êtrerestitué…

« Il n’a pas fait cela… il m’a volé, volésciemment, avec préméditation ; il ne peut exciper de sonignorance ; puisqu’il se dit mon ami, il devait sentir mon âmepalpiter dans la sienne… il a feint de ne rien voir, de ne riencomprendre, il a été mon assassin et je l’épargnerais ! Non,non, je veux qu’il souffre, je veux qu’il crie, je veux qu’il sachebien que ces tortures viennent de moi…

« L’heure est propice. Jamais il n’a étéplus heureux, le temps a effacé sur son cœur la dernière ride duregret, et même, me disait-il naguère encore, il trouve unecertaine jouissance à réveiller l’amertume de ses souvenirs. Il estplus riche que jamais : tout lui a réussi. Ses découvertesindustrielles ont eu un immense retentissement, il est estimé,honoré… Bonheur complet. Oui, mais nul ne voit dans l’ombrel’ennemi qui veille, silencieux, implacable, l’ennemi dont la hainegrandit de toute l’étendue de son bonheur, à lui, et qui ressentune joie âpre à se répéter tout bas : Quand je le voudrai,tombera ce bonheur, tombera tout cet échafaudage d’orgueil.

« Mais comment ? Comment ? Lemoyen d’assouvir ma haine ! Je ne le vois pas, je ne lepressens pas, je ne le devine pas.

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