Le Roman d’un spahi

XXII

FRANÇOISE PEYRAL A SON FILS

« Mon cher fils,

Nous ne recevons pas de réponse à notrelettre, et Peyral dit qu’il commence à être bien temps qu’il nousarrive quelque chose ; je vois qu’il pâlit beaucoup chaquefois que Toinou passe avec sa boîte et qu’il lui dit comme ça qu’iln’y a rien pour nous. Moi aussi, je m’en fais bien du souci. Maisje crois toujours que le bon Dieu garde mon cher garçon, comme jelui demande tant, et qu’il ne peut point lui arriver mal ni rien,par mauvaise conduite ni punition ; si c’était ça, je seraistrop malheureuse.

« Ton père te fait dire qu’il lui passedes idées en tête, de ce qu’il a été, lui aussi, autrefois dansl’armée ; et, quand il était en garnison, il dit qu’il en a vurudes pour les jeunes gens qui ne sont pas bien raisonnables, parrapport à des camarades qui les entraînent à la boisson et à deméchantes femmes qui se tiennent là exprès pour les faire tomberdans le mal. Je te dis ça pour lui faire plaisir ; mais, moi,je sais que mon cher garçon est sage et qu’il a des idées dans lecœur qui l’éloigneront pour sûr de toutes ces vilaines choses.

« Le mois prochain, nous t’enverronsencore un peu d’argent ; je pense que, là-bas, il faut que tupayes bien des petites choses ; je sais bien que tu nedépenses point inutilement quand tu penses à la peine que prend tonpère ; quant à moi, la peine des femmes n’est pas grand’chose,et je parle pour lui, le cher homme. On cause toujours de toi à laveillée et aux noix ; on ne passe guère de soiréesans causer de notre Jean ; tous les voisins te disent ungrand bonjour.

« Mon cher fils, ton père et moi, noust’embrassons de cœur : que le bon Dieu te garde !

« Ta mère,

FRANÇOISE PEYRAL. »

Ce fut dans la prison du quartier, où il étaitenfermé pour ivresse et s’être fait rapporter par la garde, queJean reçut cette lettre. – Par bonheur, la blessure du spahi àcheveux blonds n’était pas trop grave, et ni le blessé ni sescamarades n’avaient voulu dénoncer Peyral. – Jean, les vêtementsmaculés et pleins de sang, la chemise en lambeaux, avait encoredans la tête des fumées d’alcool ; il lui passait des brumesdevant les yeux, et à peine il pouvait lire… Et puis il y avaitmaintenant un voile, épais sur ses affections d’enfance et defamille ; ce voile, c’était Cora, son désespoir et sespassions. (Cela arrive ainsi à certaines périodes d’éblouissementet de vertige, – et puis le voile se dissipe et on en revient toutdoucement à ce que l’on avait aimé.)

Malgré cela, cette pauvre lettre, siconfiante, n’eut pas de peine à trouver le chemin de soncœur ; il la baisa pieusement et se mit à pleurer.

Et puis il se jura de ne plus boire ; –et, comme l’habitude n’était pas invétérée, il put strictement setenir à lui-même sa promesse : jamais il ne se grisa plus.

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