Le Roman d’un spahi

XII

Une nuit de février, Jean eut un soupçon.

Cora l’avait prié de se retirer à minuit, –et, au moment de partir, il avait cru entendre marcher dans unechambre voisine, comme s’il y eût là quelqu’un qui attendait

A minuit, il s’en alla, – et puis il revint àpas de loup, marchant sans bruit dans le sable. Il escalada un mur,un balcon, – et regarda dans la chambre de Cora, par la porteentrebâillée de la terrasse…

………………………

Quelqu’un avait pris sa place auprès de samaîtresse : un tout jeune homme, en costume d’officier demarine. Il était là comme chez lui, à demi couché dans un fauteuil,avec un air d’aisance et de dédain

Elle était debout, et ils causaient…

D’abord, il semblait à Jean qu’ils parlaientune langue inconnue… C’étaient des mots français pourtant, mais ilne comprenait pas… Ces courtes phrases qu’il envoyaient du bout deslèvres lui faisaient l’effet d’énigmes moqueuses, n’ayant pas desens à sa portée… Cora aussi n’était plus la même, son expressionavait changé ; une espèce de sourire passait sur ses lèvres, –un sourire comme il se rappelait en avoir vu à une grande filledans un mauvais lieu…

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Et Jean tremblait… Il lui semblait que toutson sang descendait et refluait au cœur ; dans sa tête, ilentendait un bourdonnement, comme le bruit de la mer ; sesyeux devenaient troubles…

Il avait honte d’être là ; il voulaitrester pourtant, – et comprendre…

Il entendit son nom prononcé ; – onparlait de lui… Il se rapprocha, appuyé au mur, et saisit des motsplus distincts :

– Vous avez tort, Cora, disait le jeune hommed’une voix très tranquille, avec un sourire à souffleter. – D’abordil est très beau, ce garçon, – et puis il vous aime, lui…

– C’est vrai, mais j’en voulais deux. – Jevous ai choisi parce que vous vous appelez Jean comme lui ; –sans cela, j’aurais été capable de me tromper de nom en luiparlant : je suis très distraite…

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Et puis elle s’approcha du nouveau Jean.

Elle avait changé encore de ton et devisage ; avec toutes les câlineries traînantes, grasseyantesde l’accent créole, elle lui dit tout bas des mots d’enfant, et luitendit ses lèvres, encore chaudes des baisers du spahi…

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Mais lui avait vu la figure pâle de JeanPeyral, qui les regardait par la porte entr’ouverte, et, pour touteréponse, il le montra de la main à Cora…

Le spahi était là, immobile, pétrifié, fixantsur eux ses grands yeux hagards…

Et, quand il se vit regardé à son tour, ilrecula simplement dans l’ombre… Brusquement, Cora s’était avancéevers lui, – avec une expression hideuse de bête qu’on a dérangéedans ses amours ; – cette femme lui faisait peur… Elle étaitpresque à le toucher… Elle ferma sa porte avec un geste de rage,poussa un verrou derrière, – et tout fut dit…

La mulâtresse, petite-fille d’esclave, venaitde reparaître là avec son cynisme atroce, sous la femme éléganteaux manières douces ; elle n’avait eu ni remords, ni peur, nipitié…

La femme de couleur et son amant entendirentcomme le bruit d’un corps s’affaissant lourdement sur la terre, ungrand bruit sinistre dans ce silence de la nuit ; – et puis,plus tard, vers le matin, un sanglot derrière cette porte, – etcomme un frôlement de mains qui cherchent dans l’obscurité

Le spahi s’était relevé, et s’en allait àtâtons dans la nuit…

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