Le Roman d’un spahi

XXXV

Elle attendait, elle, avec une grande anxiétéce retour.

Dès qu’il entra, elle vit bien qu’il nel’avait pas retrouvée, la vieille montre qui sonnait.

Il avait l’air si sombre, qu’elle pensa queprobablement il allait la tuer.

Elle comprenait cela ; – elle, si on luiavait pris une certaine amulette racornie, la plus précieusequ’elle avait, que sa mère lui avait donnée quand elle était toutepetite, en Galam, – oh ! elle se serait jetée sur le voleur,et l’aurait tué si elle avait pu.

Elle comprenait bien qu’elle avait fait làquelque chose de très mal, poussée par les mauvais esprits, par songrand défaut de trop aimer la parure. – Elle savait bien qu’elleétait méchante. – Elle était fâchée d’avoir fait tant de peine àJean ; cela lui était égal d’être tuée, – mais elle auraitvoulu l’embrasser.

Quand il la battait, elle aimait presque celamaintenant, parce qu’il n’y avait guère que dans ces moments-làqu’il la touchait, et qu’elle pouvait le toucher, elle, en seserrant contre lui pour demander grâce. – Cette fois, quand ilallait la prendre pour la tuer, comme elle n’aurait plus rien àrisquer, elle mettrait toutes ses forces pour l’enlacer, et tâcherd’arriver jusqu’à ses lèvres ; après elle se cramponnerait àlui en l’embrassant jusqu’à ce qu’elle fût morte, – et cela luiserait égal.

………………………

S’il avait pu déchiffrer, le pauvre Jean, cequi se passait dans ce petit cœur sombre, sans doute, pour sonmalheur, il aurait pardonné encore ; – ce n’était pasdifficile de l’attendrir, lui.

Mais Fatou ne parlait pas, parce qu’ellecomprenait que tout cela ne pouvait pas s’exprimer, et l’idée decette lutte suprême où elle allait le tenir et l’embrasser, etmourir par lui, ce qui finirait tout, – cette idée luiplaisait ; – et elle attendait, fixant sur lui ses grands yeuxd’émail, avec une expression de passion et de terreur.

Mais Jean était rentré, et il ne lui disaitrien ; – il ne la regardait même pas, – alors elle necomprenait plus.

Il avait même jeté sa cravache en entrant, –parce qu’il était honteux d’avoir été brutal avec une petite filleet qu’il ne voulait pas recommencer.

Seulement il s’était mis à arracher toutes lesamulettes pendues aux murs et les jetait par les fenêtres.

Puis il prit les pagnes, les colliers, lesboubous, les calebasses – et, sans rien dire toujours, il leslançait, dehors sur le sable.

Et Fatou commençait à comprendre ce quil’attendait ; elle devinait que tout était fini, et elle étaitatterrée.

Quand tout ce qui était à elle fut dehors,éparpillé sur la place, Jean lui montra la porte, en disantsimplement, entre ses dents blanches serrées, d’une voix sourde quin’admettait pas de réplique

– Va-t’en ! ! !

Et Fatou, la tête baissée, s’en alla sans riendire. Non, elle n’avait rien imaginé d’aussi horrible que d’êtrechassée ainsi. Elle se sentait devenir folle, – et elle s’en allaitsans oser lever la tête, sans trouver un cri à pousser, ni un mot àdire, ni une larme à verser.

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