Le Roman d’un spahi

XV

Il était cinq heures du matin ; le soleilterne et rouge allait se lever sur le pays des Douïch ; – Jeanrejoignait la Falémé, qui se disposait à repartir.

Les négresses passagères étaient déjà étenduessur le pont, roulées dans leurs pagnes bigarrés ; – si serréesles unes contre les autres, qu’on ne voyait plus par terre qu’unemasse confuse d’étoffes dorées par la lumière matinale, – au-dessusdesquelles s’agitaient quelques bras noirs, chargés de pesantsbracelets.

Jean, qui passait au milieu d’elles, se sentitretenu tout à coup par deux bras souples, qui lui enlaçaient lajambe comme deux serpents.

La femme se cachait la tête et lui embrassaitles pieds.

– Tjean ! Tjean !… disait une petitevoix bizarre, de lui bien connue, – Tjean !… je t’ai suivi depeur que tu ne gagnes le paradis (que tu ne meures) à laguerre ! – Tjean !… ne veux-tu pas regarder tonfils ?

Et les deux bras noirs soulevaient un enfantbronzé, qu’ils tendaient au spahi.

– Mon fils ?… mon fils ?… répétaJean, avec sa brusquerie de soldat, – mais d’une voix qui tremblaitpourtant, – mon fils ?… qu’est-ce que tu me chantes-là…Fatou-gaye ?

………………………

– C’est pourtant vrai, dit-il, avec uneémotion étrange, en se baissant pour le voir, – c’est pourtantvrai… il est presque blanc !…

………………………

L’enfant n’avait pas voulu du sang de sa mère,il était tout entier de celui de Jean ; – il était bronzé,mais blanc comme le spahi ; il avait ses grands yeux profonds,il était beau comme lui. – Il tendait les mains, et regardait, enfronçant ses petits sourcils, avec une expression déjà grave, –comme cherchant à comprendre ce qu’il était venu faire dans la vie,et comment son sang des Cévennes se trouvait mêlé à cette impurerace noire.

Jean se sentait vaincu par je ne sais quelleforce intérieure, pleine de trouble et de mystère ; il sepencha vers son fils et l’embrassa doucement, avec une tendressesilencieuse. – Des sentiments jusqu’alors inconnus le pénétraientjusqu’au fond de son âme.

La voix de Fatou-gaye aussi avait réveillédans son cœur une foule d’échos endormis ; la fièvre des sens,l’habitude de la possession, avaient noué entre eux ces lienspuissants d’une grande persistance, que la séparation peut à peinedétruire.

Et puis elle lui était fidèle au moins,celle-là, à sa manière ; – et lui d’ailleurs, – il était siabandonné !…

Il la laissa lui passer autour du cou uneamulette d’Afrique, – et partagea avec elle sa ration du jour.

………………………

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer