Le Roman d’un spahi

XXXVI

ANAMALIS fobil !

Jean avait fait à la hâte, un peu comme unfou, sa toilette du soir.

Le matin, il avait dit à Fatou d’aller à lanuit tombante l’attendre au pied d’un certain baobab isolé, dansles marais de Sorr.

………………………

Et puis, avant de s’en aller, il s’étaitaccoudé, la tête fort troublée, à l’une des grandes fenêtres de lacaserne – pour réfléchir encore un moment, – réfléchir si possibleen respirant un peu d’air moins lourd. Il tremblait de ce qu’ilallait faire.

S’il avait résisté quelques jours, c’était parsuite des sentiments très compliqués qui luttaient enlui-même : une sorte d’horreur instinctive se mêlait encore àl’entraînement terrible de ses sens. Et puis il y avait de lasuperstition un peu aussi, superstition d’enfant montagnard, –vague frayeur de sorts et d’amulettes, crainte de je ne sais quelsenchantements, quels liens ténébreux.

Il lui semblait qu’il allait franchir un seuilfatal, signer avec cette race noire une sorte de pactefuneste ; – que des voiles plus sombres allaient descendreentre lui et sa mère et sa fiancée, et tout ce qu’il avait laissélà-bas de regretté et de chéri,

Un chaud crépuscule tombait sur lefleuve ; la vieille ville blanche devenait rose dans seslumières et bleue dans ses ombres ; de longues files dechameaux cheminaient dans la plaine, prenant au nord la route dudésert.

On entendait déjà le tam-tam desgriots et le chant des désirs effrénés qui commençait dansle lointain : Anamalis fobil ! – Faramatahi !…

L’heure fixée à Fatou-gaye était presquepassée, et Jean partit en courant pour la rejoindre au marais deSorr.

………………………

Anamalis fobil ! Faramata hi !…

Sur leur hyménée étrange un baobab isoléjetait son ombre, le ciel jaune étendait sa voûte immobile, morne,irrespirable, chargée d’électricité, d’émanations terrestres, desubstances vitales.

Il faudrait, pour peindre cette couchenuptiale, prendre des couleurs si chaudes, qu’aucune palette n’enpourrait fournir de semblables, – prendre des mots africains, –prendre des sons, des bruissements et surtout du silence, – prendretoutes les senteurs du Sénégal, – prendre de l’orage et du feusombre, – de la transparence et de l’obscurité.

Et pourtant il n’y avait là qu’un baobabsolitaire, au milieu d’une grande plaine d’herbages.

Et Jean, dans son délire d’ivresse, éprouvaitencore une sorte d’intime horreur, en voyant sur ce fondd’obscurité crépusculaire trancher le noir plus intense del’épousée, – en voyant là, tout près de ses yeux à lui, brillerl’émail mouvant des yeux de Fatou.

De grandes chauves-souris passaient au-dessusd’eux sans bruit ; leur vol soyeux semblait un papillonnementrapide d’étoffe noire. – Elles les approchaient jusqu’à leseffleurer ; – leur curiosité de chauves-souris était trèsexcitée, – parce que Fatou avait un pagne blanc qui tranchait surl’herbe rousse…

………………………

Anamalis fobil !… Faramata hi !…

………………………

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