Le Roman d’un spahi

XXVIII

Jean avait une pauvre vieille montre d’argentà laquelle il tenait comme Fatou à ses amulettes ; – la montrede son père qu’au moment de son départ celui-ci lui avait donnée.Avec une médaille qu’il portait sur sa poitrine, attachée à son coupar une chaîne, c’était ce à quoi il tenait le plus au monde,

La médaille était à l’effigie de la Vierge.Elle avait été mise là par sa mère, une fois qu’il avait étémalade, étant tout enfant, tout petit… Il s’en souvenait pourtant,du jour où cette médaille avait été mise à cette place qu’ellen’avait jamais quittée.

Il était dans son premier petit lit, atteintde je ne sais quelle maladie d’enfant, – la seule qu’il ait euedans sa vie. – En se réveillant une fois, il avait vu sa mèreauprès de lui, pleurant ; c’était une après-midi d’hiver, il yavait de la neige qu’on voyait par la fenêtre, comme un manteaublanc sur la montagne… Sa mère, en soulevant tout doucement sapetite tête, lui avait passé au cou cette médaille ; puis ellel’avait embrassé et il s’était rendormi.

Il y avait de cela plus de quinze ans ;depuis, le cou avait beaucoup grossi, et la poitrine s’étaitbeaucoup élargie, mais la médaille était toujours restée à saplace, – et il n’avait jamais tant souffert qu’une, fois, lapremière nuit qu’il avait passée dans un mauvais lieu : lesmains de je ne sais quelle fille avaient rencontré la médaillesacrée, – et la créature s’était mise à rire en la touchant…

Quant à la montre, il y avait quelque quaranteans qu’elle avait été achetée, – pas neuve, – par son père, dutemps qu’il était au service, avec ses premières économies desoldat.

Elle avait été autrefois, paraît-il, unemontre très remarquable ; mais à présent elle était un peudémodée et grosse et renflée, à sonnerie, accusant un âge trèsvénérable.

Son père la considérait encore comme un objetd’un rare mérite. (Les montres n’étaient pas très répandues parmiles montagnards de son village). L’horloger d’un bourg voisin quil’avait réparée au moment du départ de Jean pour le service, enavait déclaré le mouvement très remarquable ; – et son vieuxpère lui avait confié avec toute sorte de recommandations cettecompagne de sa jeunesse.

Jean l’avait portée d’abord ; mais voilàqu’au régiment, quand il regardait l’heure, il entendait des éclatsde rire. On avait fait des plaisanteries si déplacées sur cetoignon, que le pauvre Jean en était devenu, deux ou trois fois,tout rouge de colère et de chagrin. Entendre manquer de respect àcette montre, il eût mieux aimé recevoir toute sorte d’injures pourlui-même, et des soufflets en plein visage qu’il eût pu rendre.Cela lui faisait d’autant plus de peine que, intérieurement, ilavait bien été forcé de reconnaître, lui aussi, qu’elle était unpeu ridicule, cette pauvre chère vieille montre. Il s’était mis àl’en aimer davantage ; cela lui faisait une peine inexprimablede la voir ainsi conspuée, – et surtout de la trouver si drôlelui-même.

Alors il avait cessé de la porter, pour luiépargner ces affronts. Même il ne la remontait plus, pour ne pas lafatiguer ; d’autant qu’après les secousses de ce voyage, etsous l’influence de ce climat très chaud auquel elle n’était pashabituée, elle s’était mise à indiquer les heures les plusinvraisemblables, – à battre tout à fait la campagne.

Il l’avait serrée avec amour dans une boîte oùétaient ses objets les plus précieux, ses lettres, ses petitssouvenirs du pays. Cette boîte était la boîte aux fétiches, une deces boîtes absolument sacrées, comme en ont toujours les matelots,et quelquefois les soldats.

Fatou avait défense formelle d’y toucher.

Cependant cette montre l’attirait.

Elle avait trouvé le moyen d’ouvrir le coffretprécieux, elle avait appris toute seule à remonter la montre, quandJean n’était pas là, et à faire tourner les aiguilles et marcher lasonnerie ; et, en l’approchant tout près de son oreille, elleécoutait ces petits bruits fêlés avec des mines curieuses deouistiti qui aurait trouvé une boîte à musique.

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