Le Roman d’un spahi

XI

Une petite négresse très comique, à laquelleJean ne prenait pas garde, habitait la maison de Cora en qualité decaptive. Cette petite fille était Fatou-gaye.

Elle avait été tout dernièrement amenée àSaint-Louis et vendue comme esclave par des Maures Douaïch, quil’avaient capturée, dans une de leurs razzias, au pays desKhassonkés.

Sa haute malice et son indépendance farouchelui avaient fait assigner un emploi très effacé dans la domesticitéde la maison. On la considérait comme une petite peste, boucheinutile et acquisition déplorable.

N’ayant pas encore tout à fait l’âge nubileauquel les négresses de Saint-Louis jugent convenable de se vêtir,elle allait généralement toute nue, avec un chapelet de grigris aucou, et quelques grains de verroterie autour des reins. Sa têteétait rasée avec le plus grand soin, sauf cinq toutes petitesmèches, cordées et gommées, cinq petites queues raides, plantées àintervalles réguliers depuis le front jusqu’au bas de la nuque.Chacune de ces mèches se terminait par une perle de corail, à partcelle du milieu, qui supportait un objet plus précieux :c’était un sequin d’or fort ancien qui avait dû jadis arriverd’Algérie par caravane et dont les pérégrinations à travers leSoudan avaient été sans doute très longues et très compliquées.

Sans cette coiffure saugrenue, on eût étéfrappé de la régularité des traits de Fatou-gaye. Le type khassonkédans toute sa pureté : une fine petite figure grecque, avecune peau lisse et noire comme de l’onyx poli, des dents d’uneblancheur éclatante, une extrême mobilité dans les yeux, deuxlarges prunelles de jais sans cesse en mouvement, roulant de droiteet de gauche sur un fond d’une blancheur bleuâtre, entre deuxpaupières noires.

Quand Jean sortait de chez sa maîtresse, ilrencontrait souvent cette petite créature.

Dès qu’elle l’apercevait, elle s’enroulaitdans un pagne bleu – son vêtement de luxe, – et s’avançait ensouriant ; avec cette petite voix grêle et flûtée desnégresses, en prenant des intonations douces et câlines, enpenchant la tête, en faisant des minauderies de ouistiti amoureux,elle disait

–May man coper, souma toubab (Donne-moicuivre, mon blanc). Traduisez : « Donne-moi un sou,donne-moi cuivre, mon blanc. »

C’était le refrain de toutes les petitesfilles de Saint-Louis ; Jean y était habitué.

Quand il était de bonne humeur et qu’il avaitun sou dans sa poche, il le donnait à Fatou-gaye.

Là n’était pas le singulier del’aventure ; ce qui n’était pas ordinaire, c’est queFatou-gaye, au lieu de s’acheter un morceau de sucre, comme lesautres eussent pu le faire, allait se cacher dans un coin, et semettait à coudre très soigneusement, dans les sachets de sesamulettes, les sous qui lui venaient du spahi.

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