Le Roman d’un spahi

XIX

C’était l’heure de la grande mélancolie dusoir. Le coucher du soleil amenait dans ce village perdu uneanimation originale. Les bergers noirs faisaient rentrer leurstroupeaux ; les hommes de la tribu, s’apprêtant au combat,aiguisaient leurs couteaux de guerre, fourbissaient leurs fusilspréhistoriques ; les femmes préparaient des provisions dekousskouss pour l’armée ; elles trayaient leurs brebis etleurs maigres femelles de zébus. On entendait un murmure confus devoix nègres, auquel les chèvres mêlaient leurs notes tremblantes,et les chiens laobés leurs aboiements plaintifs…

Et Jean, le cœur serré de solitude, vints’asseoir auprès d’elle et prit son enfant sur ses genoux, –attendri devant sa famille noire, heureuse encore, et ému detrouver à Dialdé en Galam quelqu’un qui l’aimât.

A côté d’eux, des griots répétaient des chantsde guerre ; ils chantaient doucement, avec des voix de faussettristes et s’accompagnaient sur de petites guitares primitives, àdeux cordes tendues sur des peaux de serpent, qui faisaient unmaigre bruit de sauterelles ; – ils chantaient de ces airsd’Afrique qui s’harmonisent bien avec la désolation de ce pays, –qui ont leur charme, – avec leur rythme insaisissable et leurmonotonie…

C’était un délicieux bébé que le fils de Jean,mais il était très sérieux, et rarement on le voyait sourire. Ilétait habillé d’un boubou bleu et d’un collier, comme un enfantyoloff ; mais sa tête n’était pas rasée avec de petitesqueues, ainsi que c’est l’usage pour les enfants du pays ;comme il était un petit blanc, sa mère avait laissé pousser sescheveux frisés, dont une boucle retombait sur son front comme chezle spahi…

Jean resta là longtemps, assis à la porte dublockhaus, à jouer avec son fils. Et les dernières lueurs du jouréclairaient ce tableau d’un caractère singulièrementremarquable : l’enfant avec sa petite figure d’ange, – lespahi avec sa belle tête de guerrier, jouant tous deux à côté deces sinistres musiciens noirs. Fatou-gaye était assise à leurspieds ; elle les contemplait l’un et l’autre avec adoration,par terre devant eux, comme un chien couché aux pieds de sesmaîtres ; elle était comme en extase devant la beauté de Jean,qui avait recommencé à lui sourire…

Il était resté bien enfant, le pauvre Jean,comme cela arrive presque toujours aux jeunes hommes qui ont menéla vie rude, et auxquels un développement physique précoce a donnéde bonne heure l’air mûr et très sérieux. Il faisait sauter sonfils sur ses genoux avec une gaucherie de soldat, – et riait à toutinstant d’un rire frais et jeune… Mais il ne voulait pas beaucouprire, lui, le fils du spahi ; il passait ses bras ronds autourdu cou de son père, se serrait contre sa poitrine, – et regardaittout d’un air très grave… La nuit venue, Jean les installa tousdeux en sécurité dans l’intérieur du blockhaus, – puis il donna àFatou-gaye tout l’argent qui lui restait, – trois khâliss,quinze francs !…

– Tiens, dit-il, demain matin tu achètera dukousskouss pour toi, – et du bon lait pour lui…

………………………

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