Le Roman d’un spahi

II

C’était une opération très importante et trèscompliquée que de coiffer Fatou ; – cela avait lieu chaquesemaine une fois, et, cette fois-là, toute la journée ypassait.

Dès le matin, elle se mettait en route pourGuet-n’dar, la ville nègre, – où habitait, dans une case pointuefaite de chaume et de roseaux secs, la coiffeuse en renom des damesnubiennes.

Elle restait là plusieurs heures durant,accroupie sur le sable, s’abandonnant aux mains de cette artistepatiente et minutieuse.

La coiffeuse défaisait d’abord, – désenfilaitune à une les perles, – détressait, démêlait les mèchesépaisses ; – puis reconstruisait ensuite cet édifice trèssurprenant, dans lequel entraient du corail, des pièces d’or, despaillettes de cuivre, des boules de jade vert et des boulesd’ambre.

– Des boules d’ambre grosses comme des pommes,– héritage maternel, précieux joyaux de famille rapportés encachette dans la terre d’esclavage.

Et le plus compliqué à peigner, c’était encorele derrière de la tête, la nuque de Fatou. – Là, il fallait diviserles masses crépues en des centaines de petits tire-bouchons empeséset rigides, soigneusement alignés, qui ressemblaient à des rangs defranges noires.

On roulait chacun de ces tire-bouchonsséparément autour d’un long brin de paille, on les couvrait d’uneépaisse couche de gomme, – et, pour laisser à cet enduit le tempsde sécher, les pailles devaient, jusqu’au lendemain, rester enplace. – Fatou rentrait chez elle avec toutes ces brindilles tenantà sa chevelure ; elle avait l’air, ce soir-là, de s’êtrecoiffée dans la peau d’un porc-épic.

Mais, le lendemain, quand les pailles étaientenlevées, quel bel effet !…

On jetait par là-dessus, à la mode khassonkée,une sorte de gaze du pays, très transparente, qui enveloppait letout comme une toile d’araignée bleue ; et cette coiffure,solidement établie, durait nuit et jour pendant toute unesemaine.

Fatou-gaye se chaussait d’élégantes petitessandales de cuir, maintenues par des lanières qui passaient entrel’orteil et le premier doigt, – comme des cothurnes antiques.

Elle portait le pagne étriqué et collant queles Egyptiennes du temps des Pharaons léguèrent à la Nubie. –Par-dessus, elle mettait un boubou : grand carré demousseline ayant un trou pour passer la tête, et retombant enpéplum jusqu’au-dessous du genou.

Sa parure se composait de lourds anneauxd’argent, rivés aux poignets et aux chevilles ; et puisd’odorants colliers de soumaré, – la fortune de Jean nelui permettant pas l’usage des colliers d’ambre ou d’or.

Les soumarés sont des tresses faitesde plusieurs rangs enfilés de petites graines brunes ; cesgraines qui mûrissent sur les bords de la Gambie ont une senteurpénétrante et poivrée, un parfum sui generis, une desodeurs les plus caractéristiques du Sénégal.

Elle était bien jolie, Fatou-gaye, avec cette,haute coiffure sauvage, qui lui donnait un air de divinité hindoue,parée pour une fête religieuse. Rien de ces faces épatées etlippues de certaines peuplades africaines qu’on a l’habitude enFrance de considérer comme le modèle générique de la race noire.Elle avait le type khassonké très pur : un petit nez droit etfin, avec des narines minces, peu pincées et très mobiles, unebouche correcte et gracieuse, avec des dents admirables ; etpuis, surtout, de grands yeux d’émail bleuâtre, remplis, suivantles moments, d’étrangeté grave, ou de mystérieuse malice.

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