Le Roman d’un spahi

XVIII

Une première reconnaissance, – à l’est ducampement de Dialdé, dans la direction de Djidiam (Jean, le sergentMuller et le grand Nyaor).

Au dire des vieilles femmes peureuses de latribu alliée, on avait vu sur le sable les empreintes toutesfraîches d’une troupe nombreuse d’hommes et de cavaliers, qui nepouvait être autre que l’armée du grand roi noir.

Depuis deux heures, les trois spahispromenaient en tous sens leurs chevaux dans la plaine, sansrencontrer aucune empreinte humaine par terre, aucune trace dupassage d’une armée.

Le sol, en revanche, était criblé d’empreintesde toutes les bêtes d’Afrique, – depuis le gros trou rond quecreuse l’hippopotame de son pied pesant, jusqu’au petit triangledélicat que la gazelle, dans sa course légère, trace du bout de sonsabot. – Le sable, durci par les dernières pluies de l’hivernage,gardait avec fidélité parfaite tous les dessins que lui confiaientles habitants du désert. On y reconnaissait des mains de singes, –de grands pas dégingandés de girafes, – des traînées de lézards etde serpents, – des griffes de tigres et de lions ; on auraitpu suivre les allées et venues cauteleuses des chacals, – les bondsprodigieux des biches poursuivies ; – on devinait toutel’animation terrible amenée par l’obscurité dans ces déserts, quidemeurent silencieux tant que le soleil y promène son grand œilflamboyant ; on reconstituait tous les sabbats nocturnes de lavie sauvage.

Les trois spahis faisaient lever devant leurschevaux tout le gibier caché dans les halliers ; – on eût faitdans ce pays des chasses miraculeuses. Les perdrix rougess’envolaient au bout de leurs fusils, – et les poules-pharaons, –et les geais bleus et les geais roses, – et les merles métalliques,et les grandes outardes. Eux les laissaient tous partir, cherchanttoujours des traces d’hommes, et n’en trouvant aucune.

Le soir approchait, et des vapeurs épaissess’entassaient à l’horizon. Le ciel avait ces aspects lourds etimmobiles que l’imagination prête aux couchers du soleilantédiluvien, – aux époques où l’atmosphère, plus chaude et pluschargée de substances vitales, couvait sur la terre primitive cesgermes monstrueux de mammouths et de plésiosaures..

Le soleil s’abaissa doucement dans ces voilesétranges ; il devint terne, – livide, – sans rayons ; ilse déforma, – s’agrandit démesurément, – puis s’éteignit.

Nyaor, qui jusque-là avait suivi Muller etJean avec son insouciance habituelle, déclara que la reconnaissancedevenait imprudente, et que les deux toubabs ses amis seraientinutilement téméraires s’ils la prolongeaient davantage.

Le fait est que toutes les surprises étaientpossibles, qu’autour d’eux tout était à redouter. De plus, lesempreintes de lions étaient partout fraîches et nombreuses ; –les chevaux commençaient à s’arrêter, flairant ces cinq griffes sinettes sur le sable uni, et tremblants de frayeur…

Jean et le sergent Muller, ayant tenu conseil,se décidèrent à tourner bride, et bientôt les trois chevauxvolaient comme le vent dans la direction du blockhaus, laissantflotter derrière eux les burnous blancs de leurs cavaliers. Dans lelointain, on commençait à entendre cette formidable voix caverneuseque les Maures comparent au tonnerre : la voix du lion enchasse.

Ils étaient braves, ces trois hommes quigalopaient là, – et pourtant ils subissaient cette sorte de vertigeque donne la vitesse, – cette peur contagieuse qui faisait bondirleurs bêtes affolées. – Les joncs qui se couchaient sous leurpassage, les branches qui fouettaient leurs jambes, – leursemblaient des légions de lions du désert lancés à leurtrousse…

Ils aperçurent bientôt la rivière qui lesséparait des tentes françaises, du monde habité, et le petitblockhaus arabe du village de Dialdé, éclairé encore de dernièreslueurs rouges.

Ils firent passer leurs chevaux à la nage etrentrèrent au camp…

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