Le Roman d’un spahi

XXXIII

Il y avait plusieurs jours que Jean n’avaitpas ouvert sa boîte aux choses précieuses, et pas vu sa vieillemontre.

Il était au quartier, occupé à son service, –quand tout à coup il y songea avec un sentiment d’inquiétude.

Il rentra chez lui en marchant plus vite quede coutume, et, en arrivant, il ouvrit sa boîte.

Il sentit un coup au cœur ; il ne voyaitplus la montre !… Il déplaça fiévreusement les objets… Non,elle n’y était plus !…

Fatou chantonnait d’un air indifférent, en leregardant de coin. Elle enfilait des verroteries, combinant deseffets de tons pour ses colliers ; grands préparatifs pour lesfêtes du lendemain, les bamboulas de la Tabaski auxquelles ilfallait paraître belle et parée,

– C’est toi qui l’as changée de place ?Dis, vite, Fatou… Je te l’avais défendu, d’y toucher ! Oùl’as-tu mise ?…

– Ram !… (Je ne sais pas !)répondit Fatou avec indifférence.

Une sueur froide commençait à perler au frontde Jean, égaré d’anxiété et de colère. Il prit Fatou, la secouantrudement par le bras :

– Où l’as-tu mise ?… Allons, disvite ?

– Ram !…

Alors tout à coup une lueur lui vint. Ilvenait d’apercevoir un pagne neuf, à zigzags bleus et roses, pliésoigneusement, caché dans un coin, préparé pour la fête dulendemain !…

Il comprit, saisit le pagne, le déplia, et, lelançant par terre

– Tu l’as vendue, cria-t-il, la montre !Allons vite, Fatou, dis la vérité !…

Il la jeta à genoux sur le plancher, dans unerage folle, et prit sa cravache.

Elle savait bien, Fatou, qu’elle avait touchélà un fétiche précieux, et que ce serait grave.

– Mais elle avait l’audace del’impunité : elle en avait déjà tant fait, et Jean avait tantpardonné.

Pourtant, jamais encore elle n’avait vu Jeancomme cela ; elle poussa un cri, elle eut peur ; – ellese mit à embrasser ses pieds :

– Pardon, Tjean !… Pardon !…

………………………

Jean ne sentait pas sa force dans ces momentsde fureur. Il avait de ces violences un peu sauvages des enfantsqui ont grandi dans les bois. Il frappait rudement sur le dos nu deFatou, marquant des raies d’où jaillissait le sang, et sa rages’excitait en frappant…

Et puis il eut honte de ce qu’il avait fait,et, jetant sa cravache à terre, il se laissa tomber sur sontara…

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