Le Roman d’un spahi

XII

La Falémé cheminait toujours dans ledésert immense, elle s’enfonçait rapidement dans l’intérieur, – ensuivant l’étroit fleuve aux eaux jaunes qui sépare le Sahara mauredu grand continent mystérieux habité par les hommes noirs.

Et Jean regardait mélancoliquement lessolitudes qui passaient après les solitudes. – Il suivait des yeuxl’horizon qui s’enfuyait, – le ruban sinueux du Sénégal quiderrière lui se perdait dans des lointains infinis. – Ces plainesmaudites, se déroulant sans fin sous sa vue, lui causaient uneimpression pénible, un indéfinissable serrement de cœur – comme si,à mesure, tout ce pays se refermait sur lui et qu’il ne dût plusrevenir.

Sur les rives mornes, par-ci par-là,marchaient gravement de grands vautours noirs ou quelques maraboutschauves rappelant des silhouettes humaines. – Quelquefois un singecurieux écartait des broussailles de palétuviers pour regarderfiler le navire ; – ou bien encore, d’une bouillée de roseaux,sortait une fine aigrette blanche, – un martin-pêcheur nuancéd’émeraude et de lapis, – dont le vol éveillait un caïman paresseuxendormi sur la vase.

Sur la rive sud, – la rive des fils de Cham, –de loin en loin passait un village, perdu dans cette grandedésolation.

La présence de ces habitations d’hommes étaittoujours annoncée de fort loin par deux ou trois gigantesquespalmiers à éventail, – sortes de grands arbres-fétiches, quigardaient les villes.

Au milieu de l’immense platitude nue, cespalmiers avaient l’air de colosses postés au guet dans le désert. –Leurs troncs d’un gris rose, bien droits, bien polis, étaientrenflés comme des colonnes byzantines, et portaient, tout en haut,de maigres bouquets de feuilles aussi raides que des palettes defer.

Et bientôt, en s’approchant davantage, ondistinguait une fourmilière nègre, des huttes pointues groupées enmasses compactes à leur pied ; – tout un ensemble gris sur dessables toujours jaunes.

Elles étaient très grandes quelquefois cescités africaines ; toutes étaient entourées tristement detatas épaisses, de murs de terre et de bois qui lesdéfendaient contre les ennemis ou les bêtes fauves ; – et unlambeau d’étoffe blanche, flottant sur un toit plus élevé que lesautres, indiquait la demeure de leur roi.

Aux portes de leurs remparts apparaissaient desombres figures ; de vieux chefs, de vieux prêtres couvertsd’amulettes, avec de grands bras noirs qui tranchaient sur lablancheur de leurs longues robes. – Ils regardaient passer laFalémé, dont les fusils et l’artillerie étaient prêts, aumoindre mouvement hostile, à faire feu sur eux.

On se demandait de quoi vivaient ces hommes aumilieu de l’aridité de ce pays, – quelles pouvaient bien être leurexistence et leurs occupations derrière ces murailles grises, – àces êtres qui ne connaissaient rien au dehors, rien que lessolitudes et l’implacable soleil.

………………………

Sur la rive nord, – celle du Sahara, – plus desable encore et une autre physionomie de la désolation.

Au loin, tout au loin, de grands feuxd’herbages allumés par les Maures ; des colonnes de fumées’élevant toutes droites, à d’étonnantes hauteurs, dans l’airimmobile. – A l’horizon, des chaînes de collines absolument rougescomme des charbons enflammés, simulant, avec toutes ces fumées, desbrasiers sans bornes.

Et là où il n’y avait que sécheresse et sablesbrûlants, un mirage continuel faisait apparaître de grands lacs, oùtout cet incendie se reflétait la tête en bas.

De petites vapeurs tremblotantes, comme cellesqui s’élèvent des fournaises, jetaient sur tout cela leurs réseauxmobiles ; ces paysages trompeurs miroitaient et tremblaientsous la chaleur intense ; – puis on les voyait se déformer etchanger comme des visions ; – l’œil en était ébloui etlassé.

De temps à autre apparaissaient sur cette rivedes groupes d’hommes de pure race blanche, – fauves et bronzés, ilest vrai, – mais régulièrement beaux, avec de grands cheveuxbouclés qui leur donnaient des airs de prophètes bibliques. – Ilsallaient tête nue sous ce soleil, vêtus de longues robes d’un bleusombre, – Maures de la tribu des Braknas ou des Tzarazas, – banditstous, pillards, détrousseurs de caravanes, – la pire de toutes lesraces africaines.

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