Le Roman d’un spahi

VIII

Les mains de Fatou, qui étaient d’un beau noirau dehors, avaient le dedans rose.

Longtemps cela avait fait peur au spahi :il n’aimait pas voir le dedans des mains de Fatou, qui lui causait,malgré lui, une vilaine impression froide de pattes de singe.

Ces mains étaient pourtant petites, délicates– et reliées au bras rond par un poignet très fin. – Mais cettedécoloration intérieure, ces doigts teintés mi-partie, avaientquelque chose de pas humain qui était effrayant.

Cela, et certaines intonations d’un faussetétrange qui lui échappaient quelquefois quand elle était trèsanimée ; cela et certaines poses, certains gestesinquiétants ; cela rappelait de mystérieuses ressemblances quitroublaient l’imagination…

A la longue pourtant, Jean s’y était habitué,et ne s’en préoccupait plus. Dans les moments où Fatou lui semblaitgentille et où il l’aimait encore, il l’appelait même, en riant,d’un bizarre nom yolof qui signifiait : petite fillesinge.

Elle était très mortifiée, Fatou, de ce nomd’amitié, et prenait alors des airs posés, des mines sérieuses quiamusaient le spahi.

Un jour – (il faisait exceptionnellement beauce jour-là : un temps presque doux, avec un ciel très pur), –un jour Fritz Muller, qui se rendait en visite chez Jean, étaitmonté sans bruit et s’était arrêté sur le seuil.

Là, il se divertit beaucoup, en assistant dela porte à la scène suivante :

Jean, souriant d’un bon sourire d’enfant quis’amuse, paraissait examiner Fatou avec une attention extrême, –lui étirant les bras, la retournant, l’inspectant sans rien diresur toutes ses faces ; – et puis tout à coup, d’un airconvaincu, il exprimait ainsi ses conclusions :

– Toi tout â fait même chose commesinge !…

Et Fatou, très vexée

– Ah !

Tjean ! Toi n’y a pas dire ça, monblanc ! D’abord, singe, lui, n’y a pas connaît manière pourparler, – et moi connais très bien !

Alors Fritz Muller partit d’un grand éclat derire, – et puis Jean aussi, en voyant surtout l’air digne et commeil faut que Fatou-gaye s’efforça de prendre, afin de protester parson maintien contre ces conclusions impolies.

– Très joli petit singe, dans tous lescas ! dit Muller, qui admirait beaucoup la beauté de Fatou. –(Il avait longtemps habité le pays noir et s’y connaissait enbelles filles du Soudan.)

– Très joli petit singe !

Si tous ceux des bois de Galam étaientpareils, on pourrait encore s’acclimater dans ce pays maudit, quin’a sûrement jamais reçu la visite du bon Dieu !

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