Le Roman d’un spahi

III

Six mois avaient passé. Et les courriers deFrance n’avaient apporté au pauvre Jean – rien de bien mauvais, àla vérité, – mais rien de bien bon non plus.

L’oncle Méry restait inflexible ; – maisJeanne l’était aussi, et, dans les lettres de la vieille Française,elle glissait toujours, pour son fiancé, quelques mots de fidélitéet d’amour.

Jean, lui, était plein d’espoir, et ne doutaitplus que, à son arrivée au pays, tout ne pût facilements’arranger.

Il se perdait plus que jamais en projetsdélicieux… Après ces cinq années d’exil, ce retour au village luiapparaissait sous des couleurs d’apothéose.

Tous ces rêves de pauvre abandonné leramenaient à cet instant radieux : monter, avec ses grandsburnous de spahi, dans la diligence de son village, – voirreparaître les Cévennes, les silhouettes familières de sesmontagnes, – la route connue, – puis le clocher aimé, – puis letoit paternel au bord du chemin, et serrer dans ses bras, avec unejoie folle, ses vieux parents chéris…

Alors, ensemble, tous trois, ils s’en allaientchez les Méry… Dans le village, les bonnes gens, les jeunes filles,sortaient sur leurs portes pour le voir passer ; on letrouvait beau, avec son costume étranger et ses grandes alluresd’Afrique… Il montrait à son oncle Méry ses galons de maréchal deslogis, qu’on venait enfin de lui donner et dont l’effet seraitirrésistible… Il était bon, après tout, son oncle Méry ;autrefois, il avait beaucoup grondé Jean, c’est vrai, mais ill’avait aimé aussi ; Jean s’en souvenait très bien maintenant,il en était très sûr… (De loin, dans l’exil, on revoit toujourssous des couleurs plus douces ceux qui sont restés au foyer ;on se les rappelle affectueux et bons ; on oublie les défauts,les duretés et les rancunes.) Donc, il était impossible que l’oncleMéry ne se laissât pas fléchir, quand il verrait là ses deuxenfants le suppliant ensemble ; il s’attendrirait biencertainement… et mettrait la main de Jeanne toute tremblante danscelle de Jean !… Et alors, que de bonheur, quelle vie belle etdouce, quel paradis sur la terre !…

………………………

Par exemple, Jean ne se voyait pas très bien,vêtu comme les hommes de son village, ni, surtout, coiffé dumodeste chapeau campagnard. Ce changement était un sujet sur lequelil n’aimait pas arrêter sa pensée ; il lui semblait qu’il neserait plus lui-même, le fier spahi, sous cet accoutrementd’autrefois. C’était sous le costume rouge qu’il avait appris lavie, c’était sur le sol d’Afrique qu’il s’était fait homme, et,plus qu’il ne le croyait ; il aimait tout cela : ilaimait son fez arabe, son sabre, son cheval, – son grand paysmaudit, son désert.

Il ne savait pas, Jean, quelles déceptionsattendent quelquefois les jeunes hommes, – marins, soldats, spahis,– quand ils rentrent à ce village tant rêvé, qu’ils ont quittéencore enfants, et que, de loin, ils voyaient à travers des prismesenchantés.

Hélas ! quelle tristesse souvent, et quelennui monotone attendent au pays le retour de ces exilés !

De pauvres spahis, comme lui, acclimatés,énervés dans ce pays d’Afrique, ont pleuré quelquefois les rivesdésolées du Sénégal.

Les longues courses à cheval, et la vie pluslibre, et la grande lumière, et les horizons démesurés, tout celamanque, quand on s’y est habitué et qu’on ne l’a plus ; dansla tranquillité du foyer, on éprouve quelque chose comme le besoindu soleil dévorant et de l’éternelle chaleur, le regret du désert,la nostalgie du sable.

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