C’était écrit

Chapitre 17

 

Arrivé chez le docteur, Hugues fut informé quemiss Henley était sortie ; mais comme elle prévoyait sonretour, elle l’avait fait prier de l’attendre.

Tout en dirigeant ses pas du côté du salon,Montjoie crut reconnaître la voix deMme Vimpany ; elle semblait lire touthaut ; par la porte entre-bâillée, il l’aperçut arpentant lapièce un livre à la main, déclamant d’un ton majestueux, bien qu’iln’y ait personne ni pour l’entendre, ni pour l’applaudir. D’aprèsle renseignement que l’on avait communiqué à Hugues, il en conclutqu’elle jouait pour sa satisfaction personnelle l’un des rôles deson répertoire, auxquels son mari avait fait allusion. À la vue deMontjoie, elle reprit possession d’elle-même avec l’aisance d’unepersonne maîtresse consommée en son art.

« Veuillez m’excuser, fit-elle, en luimontrant le livre qu’elle tenait à la main, mais Shakespeare metransporte. Une étincelle de son génie poétique brûle sans doutechez son humble admiratrice. Puis-je espérer que je me suis faitcomprendre ? Puis-je compter sur la sympathie que m’exprimentvos regards ? »

Montjoie fit un effort pour ne la pasdétromper ; mais, en cela, il ne réussit qu’à prouver quelmauvais acteur il eût été !

Sous cette influence réfrigérente,Mme Vimpany descendit des hauteurs du lyrisme auterre à terre de la prose la plus humble.

« Revenons à nos moutons, fit-elle d’unton protecteur ; dites-moi, a-t-on réussi à vous servir undîner passable à l’auberge ?

– Peuh ! on a fait pour le mieux.Faute de grives, on se contente de merles !

– Mon mari est-il revenu avecvous ? »

Montjoie, qui regrettait profondément de nepas avoir attendu miss Henley dans la rue, répondit avecconfusion :

« Je suis revenu seul, madame.

– Tiens, mais où donc est mon mari ?dit-elle d’une voix tremblante.

– À l’auberge ou à l’hôtel, si vous aimezmieux.

– Et que fait-il là, s’il vousplaît ? » reprit-elle avec un geste d’impatience.

Son interlocuteur hésite à répondre. Sur ce,Mme Vimpany, reprenant son essor vers les hautessphères de la poésie tragique, s’avance du côté de Montjoie,qu’elle semble confondre avec Macbeth.

« Ah ! je ne comprends que trop ceque signifie votre silence, déclare-t-elle d’une voix pathétique.Allez ! les vices de mon misérable mari ne me sont que tropconnus ! M. Vimpany est gris ! »

Hugues, essayant de tirer le meilleur parti dela situation, répondit :

« Il dort, voilà tout ! »

Mme Vimpany fixe de nouveausur lui un regard digne de la reine Catherine d’Aragon, dévisageantle cardinal Wolsey.

« Pardon, madame, reprit Hugues ;j’ai une course à faire, adieu ! »

À cinq minutes de là, penché à sa fenêtre, ilaperçoit non pas Iris, mais la femme du docteur sortant d’unepharmacie ; elle tenait à la main un flacon enveloppé dupapier bleu traditionnel ; puis, il la perd de vue.

Peu après, elle reparaît et demande au garçonde l’hôtel si M. Vimpany est toujours là.

« M’est avis, madame, que vous devezl’entendre ronfler, sauf votre respect. »

Sur ce, Mme Vimpany n’a riende plus pressé que de s’informer de quel vin M. Montjoie et ledocteur ont bu à leur dîner ?

« Du vin de Bordeaux, répond leserviteur.

– Et c’est tout ?

– C’est bien assez, pour ne pas diretrop, répondit le facétieux domestique.

– D’accord ! mais l’intérêt desclients et l’intérêt du patron font deux, remarquaMme Vimpany.

– Permettez, madame, le bordeaux que cesmessieurs boivent n’est pas marqué sur la carte.

– Comment cela ?

– C’est simple comme bonjour :M. Montjoie a acheté contenant et contenu ! »

À ces mots, la physionomie deMme Vimpany change. Elle soupçonnait déjà le beaujeune homme de s’être secrètement pris de passion pour miss Henley,mais un autre soupçon bien autrement grave se glisse dans sonesprit. Elle monte l’escalier, ouvre et ferme la porte avecbruit ; elle se dit que c’est le moyen le plus efficace defaire sortir son mari de son sommeil de plomb, mais il ne bougeapas plus qu’une souche. En proie à un véritable dégoût, elles’arrêta un moment à le considérer à travers la table.

Voilà donc l’homme auquel elle est rivée pardes lois religieuses et civiles ! Sans passer le temps àformuler des imprécations, elle considère avec curiosité un peu devin resté au fond du verre de son mari. Faudrait-il donc attribuerl’état où est le docteur à une cause particulière ? Elletrempe ses lèvres dans ce vin sans y trouver rien d’anormal ;néanmoins, il a agi sur le cerveau du docteur, comme un toxiqueénergique.

Tel était le stratagème employé parl’amphitryon pour apprendre de son convive, ce que le tact et laprudence d’une femme avaient si bien su lui cacher. Ah ! quelssecrets n’avait-il pas dû trahir avant d’être en état completd’ébriété ?

Exaspérée, Mme Vimpany secoueson mari comme un prunier, il s’éveille et fixe sur elle des yeuxinjectés de sang ; il la menace du poing.

D’une main, elle saisit la tête du docteur etde l’autre elle approche le flacon de son nez, disant :

« C’est le remède que vous prescrivezvous-même aux abominables compagnons de vos plaisirs. »

Rassuré sur l’innocuité de la mixture, ilavale le liquide d’un trait.

Mme Vimpany, étonnanted’énergie, force le docteur à se lever, le pousse dans la pièce àcôté et l’instant d’après, il était couché. Elle regarde samontre : l’expérience lui avait appris combien il fallait detemps à un contre-stimulant, pour produire son effet. Ensuite, ellese fait apporter du thé. Tout en le sirotant, elle dressait sesplans et se proposait deux choses : se venger de Montjoie etl’obliger à déguerpir avant d’avoir pu rencontrer Iris. Tout àcoup, elle fut tirée de ses réflexions par la voix rauque de sonmari, qui appelait quelqu’un près de lui. Qui sait ? Peut-êtreétait-il enfin en état de comprendre les questions qu’elle allaitlui adresser et par ses réponses, elle découvrirait enfin lavérité ; mais il se borne à demander à boire à cor et àcri.

Une ou deux gorgées de soda déblayèrent vitele cerveau du docteur, après quoi, Mme Vimpanyrecommence à donner des coups de sonde dans la conscience de cetincurable ivrogne.

« Voyons, dit-elle, avez-vous parlé detelle et telle chose ?

– Peut-être.

– Le nom de lord Harry a-t-il étéprononcé ? »

À cet instant, une lueur d’intelligencejaillit des yeux énormes de son interlocuteur.

« Oui,… oui, en effet,… nous nous sommesquerellés, disputés, empoignés, à son sujet ; je crois merappeler que j’ai lancé une bouteille à la tête deM. Montjoie.

– Avez-vous prononcé aussi le nom de missHenley ?

– Naturellement.

– Et qu’en avez-vous dit ? demandaMme Vimpany.

– Est-ce que je sais moi ! fit-il enfixant sur sa femme un regard vide de tout souvenir. Crénom !C’est révoltant à la fin,… jusqu’à quand va-t-elle me tirbouchonnerainsi l’esprit !

– Écoutez bien ce que je vais vousdire : il faut, coûte que coûte, empêcher lord Harry (s’ilvient chez nous) de voir miss Henley avant que je lui aieparlé.

– Pourquoi ça ? riposta ledocteur.

– Il me faut le temps de lui expliquerque je l’ai trompée ; je ne puis espérer mon pardon qu’à cettecondition.

– Quelle folie ! Ah ! lesfemmes ! si je fais ce que vous me demandez, dites-moi ce quej’y gagnerai ?

– Le moment est venu d’aller rejoindrecelui qui vous a grisé pour le besoin de sa cause, ditMme Vimpany.

– Ah ! que le diable m’emporte si jene lui romps pas les os ! En somme, si j’ai trop bu, Montjoielui-même était soûl comme un Templier. Que faire ?

– Tenez-vous à vous venger de ce tristepersonnage ?

– Je crois bien que j’y tiens !répondit le docteur.

– Rappelez-vous ma recommandation ausujet de lord Harry. »

M. Vimpany, après avoir tiré son carnetde sa poche, pria sa femme d’écrire ses instructions, ce qu’ellefit d’une main rapide « Empêchez lord Harry de se trouver enprésence de miss Henley, avant qu’il m’ait été donné de lavoir. »

« À présent, dit-elle en se rapprochantdu docteur, vous verrez quelle femme intelligente et habile est lavôtre. »

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