C’était écrit

Chapitre 12

 

Dans une rue écartée et solitaire de HoneyBuzzard, s’élevait la maison du docteur ; les fenêtresdonnaient sur le cimetière, perspective peu encourageante chez undisciple d’Esculape. Une servante ouvre la porte, regarde d’un airsoupçonneux et, avant même que Montjoie ait articulé un mot, répondque le docteur est sorti. Le visiteur décline son nom et demandemiss Henley. À cet instant, la physionomie de la servantes’épanouit comme par enchantement. Elle l’introduit aussitôt dansun petit salon à l’ameublement pauvre ; des gravures malencadrées et même assez déplacées chez un médecin, ornaient lesmurs. C’étaient des portraits d’actrices célèbres du commencementdu siècle. Plusieurs volumes de pièces de théâtre remplissaient unpetit rayon au-dessus de la cheminée.

« Qui diantre peut lire ces comédies, sedit Montjoie, et d’où vient qu’Iris soit ici ? »

Au même instant, miss Henley apparaît ;elle avait le visage pâle et défait ; les yeux remplis delarmes.

L’arrivée de Hugues évoquait plusdouloureusement encore le souvenir de la mort tragique d’ArthurMontjoie. Iris se sentit prise en sa présence d’une émotion trèsvive. D’un geste spontané et avec la familiarité d’une sœur, elletendit à Montjoie son front à baiser.

« Connaissant les sentimentsd’attachement qui vous unissent à votre frère, fit-elle, je medéclare incapable de vous dire toute la part que je prends à votredouleur.

– Il n’est pas besoin de paroles,répondit son interlocuteur ; votre sympathie parled’elle-même. » Sur ce, il la conduisit du côté du sofa, pritplace à côté d’elle, et dit :

« Ce n’est pas votre père qui m’envoievers vous, mais il m’a montré les deux lettres que vous lui avezécrites : l’une portant le timbre de Dublin, l’autre, de HoneyBuzzard ; je sais à quel péril vous vous êtes exposée poursauver les jours de mon malheureux frère. Ce me serait du moins uneconsolation de pouvoir vous rendre, en une certaine mesure, ce quevous avez fait pour lui.

« Non, poursuivit-il, en renonçant pourl’instant à exprimer sa reconnaissance : votre père, certes,ne m’a jamais envoyé vers vous. Seulement, il sait, d’une part, quej’ai quitté Londres uniquement pour vous venir voir et, d’autrepart, quel est le but de ma démarche. Oserais-je vous dire quelleréponse j’ai obtenue de M. Henley quand je lui ai demandé si,véritablement, il n’avait plus ni confiance, ni foi en safille ? D’une voix de tonnerre, il s’est écrié :« Mon parti est irrévocablement pris ; je ne saurais plusavoir ni foi ni confiance en ma fille, tant que le sauvage lordsera de ce monde ».

« De telles dispositions à votre égard etsurtout de la part d’un père, m’offensent au delà de tout. Oui,j’en conviens, il est emporté et bourru, mais on peut, je crois,l’amener à résipiscence. J’entends qu’il vous rende justice.Maintenant, puis-je me permettre de vous entretenir de lordHarry ?

– Certes, oui, répliqua miss Henley.

– C’est pour moi, vous le sentez bien, unsujet fort délicat à traiter…

– Et pour moi, un sujet de confusion, ditIris avec amertume : autant comparer un démon à un ange que decomparer lord Harry avec vous, Hugues. Je me déclare indigne de labonne opinion que vous avez de moi. Je reconnais que pour aimer lesauvage lord comme je l’aime, il faut avoir l’âme perverse et desgoûts dépravés ! Tenez, donnez-moi des coups de canne si bonvous semble,… je les mérite ! »

Montjoie connaissait trop bien le cœur fémininpour essayer de calmer par les raisonnements et les remontrancescette explosion de sentiments extravagants.

« Votre père, poursuivit-il, n’est pashomme à se laisser toucher par les choses du cœur, mais un exposéplus détaillé des faits, une exposition sincère de la situation,peuvent éveiller chez lui le sentiment de la justice. Enfin,aidez-moi, de grâce, à l’éclairer au sujet de lord Harry, plusefficacement que vous ne pouvez le faire par lettre. En trois mots,je désirerais que vous me missiez au courant de ce qui s’est passé,depuis le moment où les circonstances vous ont réunis vous et lejeune lord à Ardoon, jusqu’au jour où vous le laissâtes en Irlandeaprès la mort de mon frère. S’il vous semble que c’est trop exigerde vous, veuillez vous rappeler que mon unique souci est de vousservir. »

Tel fut l’appel que Hugues adressa à Iris.Pour le faire court, disons qu’elle répondit à ce désir enracontant ce qui suit :

« Lord Harry m’a fourni volontiers deséclaircissements, mais non, toutefois, sans y apporter certainesréserves, spécialement lorsque je lui eus révélé le nom del’individu posté à la borne milliaire. « Je vous supplie de mepardonner, avait-il dit, si je me refuse d’entrer dans des détailsplus circonstanciés. J’eus lieu de m’applaudir d’avoir fait appel àl’influence politique du banquier, en vue d’assurer la sécuritéd’Arthur. La nature de sir Giles, nature méprisable s’il en fut, nem’inspirait, je dois le dire, qu’une médiocre confiance, mais parcontre, je faisais fond sur mon influence personnelle. Ah !Iris, si ce financier avait eu seulement la dixième partie de votrecourage, me dit-il, Arthur serait encore de ce monde et jouirait enAngleterre d’une parfaite sécurité. Tenez, je renonce à en diredavantage ; ma tête s’égare rien que d’y penser ! »Après une pause, il continua à captiver mon attention, par le récitpathétique d’événements récents. Comme membre de l’association desInvincibles,association qui n’était qu’un outrage à laraison et à la société, ainsi qu’il l’avouait lui-même, il avait pupénétrer et même détourner les projets homicides dont il avait euconnaissance. Le jour qu’Iris l’aperçut dans le sentier sous bois,il faisait le guet, persuadé que son ami déboucherait par là. Ildemeurait convaincu, d’ailleurs, que s’il parvenait à prévenirArthur du danger qui le menaçait, ses affiliés lui feraient payerde sa vie cet acte de félonie. Bref, le meurtre commis sur lagrande route, et la disparition de l’assassin, furent suivis de larupture de miss Henley et de lord Harry. Irrévocablement décidée àlui rendre sa parole, elle revint en Angleterre, refusant tous lesrendez-vous auxquels il l’avait suppliée de se rendre. »

À cet endroit du récit, l’idée vint à Montjoiede poser à Iris plusieurs questions plus explicatives encore. Quisait si la jeune fille, aveuglée par son amour, n’était pas encore,à l’heure présente, sous le charme de lord Harry ?

« S’est-il soumis volontiers à votrearrêt ? demanda Montjoie.

– Pas du tout d’abord, riposta Iris.

– Dites-moi, Iris, s’est il résigné àvous rendre votre parole et à renoncer à tout espoir de vousépouser ?

– Nullement.

– Dites-moi, reprit Montjoie, a-t-il faitallusion à la promesse que vous lui aviez faite jadis ?

– Assurément, il m’a dit qu’il s’ycramponnait comme à la meilleure et à la seule espérance de sa vie,répondit Iris.

– À cela, qu’avez-vous répondu ?

– Je l’exhortai à ménager masensibilité.

– Ne lui avez-vous rien dit de pluspositif que cela ?

– En réalité, je ne pouvais oublier cequ’il avait fait pour sauver Arthur, mais décidée à partir, jepartis.

– Avez-vous souvenance des dernièresparoles qu’il vous a adressées au moment de vous quitter ?interrogea Montjoie.

– Il m’a dit : « Je vousaimerai jusqu’à mon dernier « soupir ».

En répétant ces mots, le timbre de la voixd’Iris prit une expression de tendresse involontaire.

« Il faut, reprit Montjoie d’un tongrave, que je sois bien fixé sur ce que je dois dire à votre père.Puis-je l’assurer, par exemple en toute sûreté de conscience, quevous ne reverrez jamais lord Harry ?

– Je me suis juré de ne plus le revoir,dit Iris d’un ton ferme, mais parfois je crains qu’une force pluspuissante que ma volonté ne m’empêche de rester fidèle à monserment.

– Ciel ! que voulez-vous dire ?questionna Montjoie.

– Je préfère m’abstenir de parler,riposta Iris.

– Quelle singulière réponse ! repritson interlocuteur.

– La bonne opinion que vous avez de moi,Hugues, m’est si précieuse que je ne voudrais pour rien au mondem’exposer à la perdre.

– N’ayez crainte, car elle estinébranlable », répondit Montjoie avec courtoisie.

Iris le considéra un instant avec uneattention particulière, puis, peu à peu, l’expression de douterépandue sur sa physionomie s’effaça. Convaincue de lui inspirer untrès grand amour, elle résolut donc de lui faire l’honneur de sesconfidences, et s’exprima aussitôt en ces termes :

« Mon ami, sachez que depuis que j’aiquitté l’Irlande, je suis, je ne sais pourquoi, sous le coup d’unesuperstition craintive. Oui, je crois à une fatalité qui, en dépitde moi-même, me ramènera à revoir Harry. Déjà, depuis que je mesuis éloignée de la maison paternelle, j’ai pu deux fois lui sauverla vie : premièrement à la borne milliaire, secondement, auxruines dans le bois. Si mon père m’accuse encore d’être éprise d’unaventurier, vous pouvez lui répondre en toute assurance qu’ilm’inspire au contraire un véritable effroi. L’idée d’une troisièmerencontre m’épouvante. J’ai tout fait pour éviter cet homme etalors que je croyais enfin y avoir réussi, la destinée me ramène àlui ! Qui sait si, caché dans cette malheureuse petite ville,je ne suis pas encore sur son chemin ! Oh ! de grâce,épargnez-moi votre mépris !

– Ma chère Iris, je vous porte l’intérêtle plus profond, le plus sincère. La destinée a une grandeinfluence sur notre pauvre vie mortelle, je n’en disconviens pas,sans accepter, toutefois, les conclusions que vous en tirez ;ni vous, ni moi, n’avons droit à prétendre connaître ce quel’avenir nous réserve ; l’espèce humaine, en présence de cegrand mystère, doit se résigner à l’ignorance. Attendez, Iris,attendez. »

À cela, la jeune fille répondit avec ladocilité d’un enfant :

« Je ferai ce que vous medirez. »

Par le fait, Montjoie aimait trop tendrementIris, pour l’entretenir plus longtemps, ce jour-là, de lord Harry.Son plus grand désir était, au contraire, d’aborder un sujet deconversation qui ne pût la surexciter. L’ayant trouvée établie dansla maison du docteur, il était naturellement anxieux de recueillirdes informations sur son hôtesse,… la femme du docteur.

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