C’était écrit

Chapitre 66

 

Fanny Mire se décida ensuite à retourner àLondres ; la modicité de ses ressources ne lui permettait pasde faire autrement et, en outre, elle était persuadée qu’elle avaitappris tout ce qu’elle pourrait apprendre ; en conséquence,prolonger son séjour était inutile.

Elle possédait encore 37 fr. 50 dudon de M. Montjoie ; après avoir loué très bon marché unepetite chambre chez des gens à l’air respectable, elle se rend chezM. Montjoie, car il lui tarde extrêmement de narrer ce qu’ellea appris à Mme Vimpany.

Chacun sait que l’un des plus grandsdésagréments que l’on puisse éprouver, c’est de ne pas rencontrerchez elle la personne que l’on a le plus d’intérêt à voir. Or forceest à Fanny de rengainer soupçons, confidences, renseignements etle reste ! Or un désappointement presque égal à celui qu’elleavait eu à Berne, l’attendait à Londres : M. Montjoieétait parti !

La maîtresse d’hôtel, qui connaissait Fanny,lui apprit ce qui était arrivé.

« Il allait mieux, dit-elle, quoiqueassez faible encore ; le médecin l’a envoyé en Écosse ;Mme Vimpany l’accompagne ; il doit voyager parétapes, courtes ou longues, suivant l’état de sa santé. J’ai sonadresse et je vais vous la remettre ; tenez, précisément, lavoici. À propos, Mme Vimpany m’a chargée d’unecommission pour vous ; quand vous écrirez, m’a-t-elle dit,c’est à elle qu’il faut adresser la lettre et non àM. Montjoie. Elle n’est pas entrée dans plusd’explications. »

Fanny revint chez elle, profondémentdécouragée ; rejetée encore une fois dans toutes sesperplexités, par le secret terrible qu’elle avait découvert ;elle en était obsédée. Le seul homme de qui elle pût prendreconseil en cette occurrence était absent ! Elle ignoraittotalement ce que lady Harry était devenue ? Que faire,désormais ? cette responsabilité lui pesait terriblement.

Il ressortait clairement pour elle del’entretien qu’elle avait eu avec la vieilleMme Lachaise, que l’homme enterré dans le cimetièred’Auteuil sous le nom de lord Harry Norland et le phtisique del’Hôtel-Dieu,celui qu’elle avait vu rendre le derniersoupir, n’était bien qu’une même et seule personne ! Elletenait pour non moins certain que le docteur, au vu et au su delord Harry, l’avait empoisonné. Donc, lady Harry était au pouvoirde ces deux scélérats ! ils n’avaient pas reculé, lesmisérables, à ajouter un meurtre à tous les crimes qu’ils avaientdéjà commis ! Quant à elle, elle se trouvait sans ami, sans lesou ! D’ici peu de jours, si elle faisait des révélations,tout était à craindre. Saisissant une plume pour écrire à sameilleure amie, elle se sentait paralysée et incapable d’expliquerce qui était arrivé.

« J’ai des raisons de croire,disait-elle, dans sa lettre, après tout ce que j’ai vu et entendu,que lord Harry n’est pas mort ! Lorsque vous m’aurez répondu,vous en apprendrez bien d’autres encore ! Aujourd’hui, ilm’est impossible d’en dire plus ; je suis trop accablée ;j’ai peur de dire trop. En outre, je n’ai plus le sou ; ilfaut que j’avise à me créer des ressources ? Pourtant, bontédivine ! ce n’est pas mon propre sort qui m’inquiète ;j’ai la conviction que milady ne m’abandonnera pas. Son avenir seulest la cause de mes tourments. Le terrible secret que j’ai apprisne me laisse ni paix, ni trêve ! »

Il se passa plusieurs jours, avant que laréponse à cette lettre arrivât ; réponse qui, comme on leverra du reste, ne lui apprit rien de bon.

« Je viens vous dire, ma chère Fanny, queM. Montjoie continue à être très peu vaillant ; quel quepuisse être le secret auquel vous faites allusion, je vous demandede le lui celer, car vous saurez qu’en apprenant que lady Harry estretournée près de son mari, il est entré dans un violent accès decolère et de larmes. Après cette mortifiante nouvelle, il a déclarévouloir rompre toute relation d’amitié avec elle. Le séjour deLondres lui était désormais insupportable, tout rappelant ladyHarry à son souvenir ; il résolut donc, malgré l’état précairede sa santé, de s’établir dans sa villa d’Écosse. Oh ! quelleaffaire ce fut d’arriver à destination ! Il s’affaissait surlui-même comme un linge mouillé. J’ai fait appeler le médecin de lalocalité ; il a découvert, tout de suite, que ce n’était pasau moyen de drogues, que l’on pouvait guérir une âme siprofondément ulcérée. Avant tout, il lui fallait du repos moral ets’abstenir même de lire les journaux ; par le fait, chose fortheureuse, car en les parcourant, il eut pu apprendre la nouvelle dela mort de lord Harry et, que par conséquent, lady Harry étaitveuve, événement des plus importants pour lui. Vous comprenez,n’est-il pas vrai, à quelles fins je vous ai fait prier de ne pasécrire à M. Montjoie et pourquoi surtout je ne lui ai pasmontré votre lettre. Je me suis bornée à dire que vous n’aviez puretrouver lady Harry. « De grâce, ne me parlez plus de ladyHarry », m’a-t-il répondu d’un ton irrité. Je n’ai eu garded’enfreindre sa recommandation. Quant à ce qui est la questiond’argent, je vous fais passer une centaine de francs que j’ai misde côté. Vous me les rendrez un jour ou l’autre. J’ai pensédernièrement que lady Harry ne peut manquer de jeter les yeux surle Continental Herald, journal fondé par son mari. À votreplace, voici ce que je ferais : par un avertissement insérédans cette feuille, lady Harry apprendrait que je désire avoir sonadresse. Vous indiquerez tel bureau que bon vous semblera posterestante. »

Voici la rédaction à laquelle elles’arrêta : Fanny M. à L. H. Impossible de me procurervotre adresse. Veuillez écrire poste restante, Hunter street,Londres. W. C.

Elle paye l’insertion de cet avertissementpour trois samedis, puis rentre chez elle ; la satisfactionqu’elle éprouve d’avoir fait un pas en avant, la met en dispositiond’écrire, par le même courrier, le compte rendu de tout ce qu’ellea appris. Chose étrange ! les soupçons que lui inspiraitVimpany l’aident à se tenir dans les bornes de la stricte vérité,or il ne s’agissait de s’armer ni des sévérités d’un censeur, nides accusations d’un juge, mais de tracer unnarregraphique, d’où chacun pût tirer la même conclusionqu’elle.

Elle exposa d’abord, comment elle était venueà savoir que lord Harry et le docteur Vimpany s’entendaient commelarrons en foire pour l’exécution d’un plan mystérieux, comment saconnaissance de la langue française l’avait mise à même desurprendre leurs secrets, comment ils s’étaient promis de tromperlady Harry de la même façon qu’ils avaient trompé les médecins del’Hôtel Dieu, comment le docteur s’y était pris pourdécider lady Harry à quitter Paris, comment ils l’avaient choisie,elle Fanny Mire, pour être la garde-malade du Danois. Puis, elledéclara les avoir soupçonnés d’entrée de jeu, de vouloir profiterde la mort du patient, lequel offrait une certaine ressemblanceavec lord Harry. Bref elle déroula son câble, jusqu’à la mort duphtisique, en terminant par son dernier entretien avec la mèreLachaise. Les jours, les dates, tout était consciencieusementconsigné, les noms seuls étaient désignés par des lettresalphabétiques. Elle en prit un duplicata. La lettre cachetée,recommandée, fut adressée à Mme Vimpany.

Entre temps, la nouvelle de la mort de lordHarry se répand dans le monde, et ceux qui connaissent l’histoirede la famille, devisent à l’envi de l’événement.

« C’est, en effet ce que ce garnementavait de mieux à faire, déclare l’un, – c’est fort heureux pour lessiens, reprend l’autre, – c’est un chenapan de moins, disaitcelui-ci, quelle chance pour sa femme ? s’écriait celui-là –c’est un de ces coureurs d’aventures qui a fait tout et lereste ! Quel dommage de ne pouvoir écrire la biographie d’untel homme ! »

Voilà les réflexions auxquelles on se livrait.Tel aujourd’hui vivant, demain oublié ! autant en emporte levent !

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