C’était écrit

Chapitre 48

 

Arrivé chez lord Harry à l’heure indiquée pourle dîner, le docteur Vimpany promène ses regards autour dusalon.

« Où est lady Harry ? »dit-il.

Son hôte répond qu’un vent d’orage a soufflésur son horizon conjugal ; rentré à l’instant d’une longuepromenade à cheval, il sait que sa femme ne tardera pas àdescendre.

Fanny Mire apporte le potage.

« Lady Harry, dit-elle, prise d’unviolent mal de tête est empêchée de quitter sa chambre, elle faitprier lord Harry de l’excuser. »

Le nouvel arrivé avait assez l’expérience dela vie conjugale pour savoir quel cas faire des défaites de cegenre. À l’effet de se mettre bien dans les papiers de lady Harry,il charge Fanny Mire de lui présenter ses respectueux complimentset de lui faire savoir qu’il n’avait pas voulu quitter Londres sansprendre des nouvelles de Hugues Montjoie. En somme, son état étaitfort amélioré, et s’il conservait encore sa garde-malade près delui, c’était uniquement parce qu’il n’avait pas encore complètementrecouvré ses forces.

Il murmure ensuite à mi-voix à lordHarry :

« J’ai voulu par là me faire bien voir delady Harry, j’espère qu’elle ne nous tiendra pas rigueur demain.Passez-moi le xérès. »

Au souvenir de sa première querelle avec safemme, lord Harry était morose, il ne desserrait guère les dentsque pour manger et s’il lui arrivait de parler, c’était desdifficultés de sa situation pécuniaire.

À un certain moment, comme le service exigeaitla présence de Fanny à la cuisine, le docteur jeta une boulette demie de pain au plafond en manière de plaisanterie. Pardieu !il avait trouvé, dit-il un truc pour boucher les trous à la lune,il s’expliquerait plus clairement quand le moment serait venu. Surce, lord Harry allègue que si la présence de Fanny gêne sesépanchements, il va lui donner l’ordre de rester à la cuisine.

De son côté, la femme de chambre, en entrantchez lady Harry, s’exprima ainsi :

« Je croyais qu’il ne s’agissait qued’une simple défaite, ciel ! milady serait-ellesouffrante ?

– Je suis découragée, voilàtout. »

Après avoir servi le thé, Fanny se dirigeantvers la porte, s’écria :

« Moi aussi je suis triste, bientriste !

– Pauvre Fanny ! dit lady Harry,qu’avez-vous donc ?

– J’ai… j’ai que le docteur m’a déjà jouéun tour de sa façon.

– Quel tour ?

– Il a, paraît-il, une chose trèsimportante à dire à lord Harry, mais il n’entend pas lui faire sesconfidences pendant que je rôde dans la maison.

– Pourquoi cela ?

– Parce qu’il me suspecte de regarder parle trou de la serrure, d’écouter aux portes ; je ne jureraispas que milady elle-même ne lui inspirât des suspicions. « Mapropre expérience m’a appris, a-t-il dit à lord Harry, quelorsqu’il y a des femmes dans une maison, les murs ont desoreilles. Quels sont vos projets pour demain ? » LordHarry a répondu qu’il devait assister le lendemain, à trois heures,à une réunion du Continental Herald ; sur quoi ledocteur a repris : « Le bureau du journal n’étant pasloin du Luxembourg, je vous donne rendez-vous à la porte du palais,à quatre heures ; nous causerons en arpentant la grande alléedevant le château, en évitant de nous rapprocher des arbresderrière lesquels les curieux peuvent se dissimuler. – Que diablepouvez-vous avoir à me dire ? demanda lord Harry en segrattant l’oreille. – Patience,… patience, jusqu’à demain »,répliqua le docteur en riant ; mais moi, poursuivit Fanny, jeme dis qu’il m’est impossible d’aller errer dans le Luxembourg sansêtre reconnue ; voilà, milady, le tour pendable que le docteurm’a joué ! Et c’est milady qui en sera la victime !

– Cela n’est pas prouvé, Fanny.

– Mon Dieu ! que je suismalheureuse ! » s’écria la femme de chambre, haletante.Le seul motif d’attendrissement que pût avoir cette pauvre créaturelaissait-il donc insensible celle qui lui avait témoigné indulgenceet bonté ?

« Asseyez-vous près de la fenêtre, Fanny,dit lady Harry, tout à l’heure, quand vous serez plus calme, jevous dirai quelque chose.

– De grâce, milady, parlez !

– Je ne comprends pas comment vous avezpu découvrir ce qui s’est passé entre mon mari et le docteur ;pourtant, ils n’ont pu parler devant vous de leurs affairesprivées ?

– Vrai, comme je le dis à milady, ils nese sont pas entretenus d’autre chose tant que le dîner a duré.

– En votre présence ?

– Le moment est venu, milady de meconfesser à vous : d’une part, je vous ai trompée et j’en suishonteuse : d’autre part, j’ai usé de finasserie avec ledocteur, je l’ai mis dedans et je m’en frotte les mains ; ilfaut vous dire que je comprends le français aussi bien quelui !

– Pourquoi alors m’avoir dit lecontraire ? Pourquoi cette tromperie ?

– Je m’explique. Lorsque je laissaismilady me traduire en anglais les commissions dont elle mechargeait, je me rappelais un conseil qui m’avait été donnépar…

– Par un ami ? interrompit ladyHarry.

– Par le pire de mes ennemis »,fit-elle avec un sourire amer.

Iris comprit l’allusion et se garda biend’insister. Fanny se dit qu’elle devait à sa maîtresse uneexplication voire une réparation. Reprenant le récit de sesmalheurs, elle poursuivit :

« Ce misérable était professeur demusique à une école dont je suivais le cours. C’était unFrançais ; le langage qu’il parlait était une autre musiquepour moi. Pendant que je faisais des gammes, il me murmurait descompliments à l’oreille, puis des déclarations, puis une promessede mariage. Impossible de résister à ses désirs ; ilm’enleva ; tant que dura son caprice, il s’amusa à m’enseignerle français. Le jour qu’il m’abandonna à mon malheureux sort, voicila lettre qu’il m’adressa. « Je vous recommande de ne révélerà personne votre connaissance de la langue française. À la faveurde l’atout que j’ai mis entre vos mains, vous pourrez, un jour oul’autre, surprendre les secrets dont il ne tiendra qu’à vous detirer grand profit. C’est en réalité la seule ressource surlaquelle vous puissiez faire fonds, puisque je n’ai pas un rougeliard à vous offrir, rappelez-vous qu’il est des conseils quivalent de l’or en barre. »

La vérité, c’est que Fanny méprisait trop ceprofesseur dans l’art de la perfidie pour se laisser pervertirdavantage par ses conseils. Une des amies de la camériste, ayantréussi à lui trouver une situation, la personne qui l’avait gagée,s’informa si elle savait lire, écrire et comprendre lefrançais ; l’ambiguïté des réponses de Fanny Mire lui inspirades soupçons et on la congédia sans autre forme de procès. À partirde cette époque, elle se fit une loi de cacher son savoir, comme unavare cache son trésor ; si l’occasion s’en fût présentée,sans doute elle n’en eût pas fait mystère ; or, pour êtrejuste aussi, jamais elle n’avait été encouragée à s’épancher.Lorsque miss Iris était devenue lady Harry, les choses avaient prisun autre tour.

Par le seul fait d’appartenir au sexe fort,lord Harry et le docteur Vimpany excitèrent les soupçons de FannyMire et c’est alors qu’elle se souvint du conseil du professeur demusique ; un secret pressentiment l’avertissait qu’ellepourrait, en le mettant en pratique, servir les intérêts de ladyHarry ; mais pour cela, il fallait que sa bienfaitrice se fîtune loi de la discrétion. À cet instant, Iris arrête sur Fanny unregard froid et objecte que tant de dissimulation n’est pasadmissible entre mari et femme. Fanny Mire reprend avecanimation :

« Si vous faites savoir ce qui en est àlord Harry, il me renverra sur l’heure. Tout vaut mieux que cetteéventualité. »

Iris hésitait ; en réalité, la seulepersonne sur le dévouement de qui elle pût compter n’était-elle pasFanny ? Avant son mariage, elle eût considéré comme au-dessousd’elle d’accepter un service de ce genre d’une auxiliairesalariée ; mais déjà l’atmosphère morale dans laquelle vivaitlady Harry exerçait sur elle, à son insu, une influence indirecte.Un observateur du cœur humain n’a-t-il pas dit : « Ilreste toujours dans la conscience quelques-uns des sophismes qu’ony a semés » ; elle en garda l’arrière-goût comme d’uneliqueur mauvaise.

La malheureuse femme finit par dire :

« Trompez le docteur si vous le croyeznécessaire à ma sécurité, mais du moins respectez lord Harry sivous voulez que je garde votre secret. Je me résume et vous défendsd’écouter demain ce que mon mari dira à M. Vimpany.

– Je le voudrais, milady, que je ne lepourrais pas ; mais enfin, je puis épier le docteur ; jeme demande ce qu’il fera avant de rejoindre lord Harry ; jetiens absolument à filer ce misérable et, pour cela, jeprierai milady de m’envoyer demain faire des emplettes à Paris.

– Mais vous vous exposeriez à unvéritable péril ?

– Permettez, milady, ça, c’est monaffaire.

– Allons, c’est entendu ! » fitlady Harry en fronçant douloureusement le sourcil.

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