C’était écrit

Chapitre 65

 

Le samedi dans l’après-midi, le corps dusoi-disant jeune Irlandais reposait dans le cimetière où le docteuravait acheté une concession à perpétuité. Le nom du défunt avaitété bien et dûment inscrit sur le registre de l’état civil. Lacause de la mort avait également été déclarée à la mairie.

Le docteur suivait seul le convoi, convoimodeste, qui passa inaperçu par les rues. Un monument très simple,devait être élevé plus tard à la mémoire de lord Harry Norland.Vimpany rentre ensuite au cottage de Passy, règle le compte de lagarde-malade et se débarrasse d’elle au plus vite ; il pritaussi son adresse, au cas où il aurait l’occasion de la recommanderà l’un de ses riches clients ; ensuite, il a soin de mettretout en état, avant de rendre la clef à la propriétaire del’immeuble. Faire disparaître les fioles de l’armoire, jeter lesboîtes aux ordures, allumer un grand feu et y précipiter deuxpetites fioles de verre bleu, contenant à coup sûr les mystères dela science furent la première occupation du docteur. Dès que leverre se fut fusionné en une petite boule, le docteur se mit àfureter dans les papiers restés à traîner sur les tables ;parfois, les lettres sont des révélatrices accablantes ;parfaitement rassuré, le docteur se mit à écrire derechef, à lafamille et au notaire.

Il était en train de le faire, lorsque,soudain, il entend dans le jardin le bruit du sable qui grince sousles pieds d’un intrus ; il se lève et, sans se troubler, ouvrela porte. Lord Harry n’avait prédit que trop vrai ! c’était lapremière garde-malade,… celle qui avait tout vu, toutentendu ! Sa physionomie anxieuse laissait deviner qu’ellevoulait tout savoir. Elle allait franchir la porte de la maison,mais la grosse personne du docteur a barre sur elle.

« Tiens, c’est vous ! fit-il d’unair d’indifférence. Qui donc vous a demandé de revenir ?

– Lady Harry est-elle ici ?

– Non, elle n’y est pas, répondit-il sansbroncher.

– Alors je vais entrer etl’attendre. »

Vimpany restait aussi impassible qu’une barrefixe.

« Quand doit-elle revenir ? demandaFanny.

– Vous a-t-elle écrit ?

– Non pas.

– Vous a-t-elle du moins laissé l’ordrede la venir retrouver ici ?

– Pas du tout,… mais je pensais…

– Les serviteurs ne devraient jamaispenser ; ils devraient se contenter d’obéir.

– Je connais mes devoirs, monsieurVimpany, sans que vous preniez soin de me les rappeler. Voulez-vousme permettre de passer ?

– Entrez, si ma société peut vous êtreagréable, dit le docteur, en se reculant pour la laisser passer. Àcoup sûr, vous ne trouverez personne ici.

– Mais alors où donc est milady ?dit Fanny stupéfaite.

– Vous l’auriez appris, si vous étiezrestée un ou deux jours de plus en Angleterre ; aujourd’hui,votre démarche est inutile, ajouta son interlocuteur.

– Elle n’est pas venue ici ? demandaFanny.

– Elle n’est pas venue ici, répéta ledocteur.

– Je ne crois pas un mot de vos paroles,s’écria Fanny hors des gonds. Je suis sûre et certaine, moi, quelady Harry est ici. Qu’en avez-vous fait, parlez ? »

Le docteur s’incline et reprend :

« Alors vous ne croyez pas ce que je vousdis… C’est fâcheux, très fâcheux.

– Moquez-vous, si bon vous semble. Oùest-elle ?

– Où est-elle ? répéta le docteurd’un ton interrogateur.

– Oui, elle a quitté Londres pour venirrejoindre milord. Où est-elle ?

– Il faudrait être plus malin que je nele suis, pour vous le dire, répondit Vimpany.

– Enfin, puis-je voir lord Harry ?demanda Fanny d’une voix ferme.

– Lui, lord Harry ? il est partitout seul pour un long voyage.

– J’attendrai son retour ici, dans cettemaison, dit Fanny Mire d’un ton décidé.

– C’est ce que nous verrons, riposta ledocteur.

– Je demeure convaincue que milady estici. Ciel ! l’auriez-vous enfermée ?

– Ah ! la belle histoire ?

– Vous êtes capable de tout ;…tenez, de ce pas, je vais prévenir la police.

– Vous n’y allez pas par quatre chemins,Fanny !

– De grâce ! dites-moi où elleest ?

– Décidément, vous êtes une servantecomme on n’en voit guère, comme on n’en voit pas ! Visitez lamaison de la cave au grenier ; entrez, voyez, examinez, aprèstout ! Qu’est-ce qui vous fait peur ? voyons, contentezvotre curiosité maligne et jugez par vous-même. »

Sans se le faire dire deux fois, Fannyobéit ; elle passe du salon dans la salle à manger :personne. Elle monte au premier étage, pénètre dans la chambre delady Harry : déserte. Pas une épingle à cheveux, pas un rubanne trahit la présence d’une femme. Elle passe dans l’appartement delord Harry, elle ouvre les armoires, regarde derrière les portes,rien, rien, rien ! Elle redescend l’escalier, se demandant ceque cela signifie. Persuadée qu’elle allait recevoir un refus dudocteur, elle dit :

« Puis-je pénétrer dans la chambred’ami ?

– Certainement, répond le docteur,certainement. Vous connaissez le chemin ;… si vous avisezquelque objet ayant appartenu à lady Harry, veuillez leprendre.

– Et comment va M. Oxbye ?

– Il est parti.

– Parti, et où est-il allé ? demandela camériste avec intérêt.

– Il est parti hier vendredi : c’estun bon garçon et si reconnaissant ! Il serait à désirer qu’ily eût un plus grand nombre de ces reconnaissantes créatures et deces fidèles serviteurs en ce bas monde ! Son intention étaitd’aller à Londres, afin de vous remercier de vive voix. Quel bravecœur !

– Comment ! c’est le jeudi que jel’ai vu… »

Puis elle se mord les lèvres et n’achève pasla phrase commencée.

« Mercredi,… c’est mercredi que vousvoulez dire, reprit le docteur ; ce jour-là, il allait déjàsensiblement mieux.

– Je n’en disconviens pas, reprit Fanny,mais il était beaucoup trop faible pour entreprendre un voyage.

– À coup sûr, je ne l’y eusse pasautorisé, au cas où j’eusse pensé qu’il commettait uneimprudence », ajouta M. Vimpany.

Fanny garda le silence ; elle avait vuson pauvre malade couché immobile et livide ! elle avaitentendu l’autre garde-malade s’écrier qu’il était mort !Maintenant, au contraire, on affirmait qu’il se portait comme lePont-Neuf et même qu’il était parti. Toujours est-il qu’ellen’avait pas de temps à perdre en réflexions inutiles.

Fanny avait été sur le point de demander cequ’était devenue la nouvelle garde-malade, mais elle réfléchitqu’il était préférable, dans les circonstances présentes, de ne paséveiller les soupçons. Ouvrant la porte de la chambre d’Oxbye, ellela parcourut des yeux ; il ne restait aucune trace de saprésence ; tout était rangé dans un ordre parfait ; lesbattants du buffet ouverts, le lit fait, les rideaux relevés, lachaise longue poussée contre le mur, la fenêtre ouverte et le mortdécampé ! Après tout, ses soupçons ne l’avaient-ils pasinduite en erreur ? N’était-il pas endormi plutôt que mort,n’était-ce pas une hallucination ?

Dans le vestibule, le docteur attend,souriant, grimaçant, hideux !

Elle se rappelle que son but était deretrouver lady Harry et non le Danois ; alors, elle referme laporte.

« Eh bien ! dit Vimpany, avez-vousfait une découverte quelconque ? La maison est déserte, vousapprendrez bientôt pourquoi. Et que comptez-vous faire à la suitede votre perquisition ; retournez-vous à Londres ?

– Non, certes ; je veux retrouvermilady, répondit Fanny.

– Si vous étiez venue ici dans d’autresdispositions d’esprit, je vous aurais épargné cette peine ;mais votre visage porte le reflet de vos soupçons. Vous n’avezcessé d’épier, de commenter, d’analyser tout ce que l’on faisaitici ; c’était, je le sais, par dévouement pour ladyHarry ; sachez donc qu’elle n’est pas ici : quant à sonmari, vous entendrez parler de lui en temps opportun. En réalité,j’ai presque envie de vous donner l’adresse de votre maîtresse.

– Oh ! oui, de grâce.

– Elle a dû traverser Paris il y a deuxjours, en se rendant en Suisse : elle m’a laissé son adresse àBerne, à l’hôtel ;… mais qu’est-ce qui me dit qu’elle réclamevos services ?

– Je suis sûre qu’elle a besoin de moi,vous dis-je.

– Après tout, c’est votre affaire. Elleest descendue : hôtel d’Angleterre. Faut-il que je vousl’écrive ? Vous ne l’oublierez pas, surtout ? Lady Harrycompte séjourner à Berne une quinzaine de jours seulement. Aprèscela, je ne sais ce qu’elle a l’intention de faire. Moi-même, jesuis sur le point de partir et il est plus que probable que jen’entendrai plus parler de lady Harry.

– Oh ! je dois l’allerrejoindre ! riposta Fanny, ne serait-ce que pour m’assurer quepersonne ne lui veut de mal et qu’aucun danger ne la menace.

– C’est votre affaire, répondit ledocteur : pour ma part, je ne lui connais aucun ennemi.

– Pourriez-vous me dire si milord estavec elle ?

– Je n’en vois pas la nécessité : jevous ai dit qu’il est parti ; si vous allez à Berne, voussaurez bientôt à quoi vous en tenir. »

Le ton du docteur, en prononçant ces mots,déplut à la femme de chambre ; pourtant, sa physionomie ne latrahit pas.

« Voyons, que comptez-vous faire ?poursuivit-il, il faut prendre vivement votre décision, soit quevous alliez en Suisse, soit que vous retourniez en Angleterre. Vousne pouvez rester ici : je suis en train de tout ranger avantde quitter la maison à mon tour : les factures sontsoldées ; je remettrai la clef au propriétaire, puis jefilerai.

– Je ne comprends pas,… murmura Fannytrès bas, je me demande ce que M. Oxbye est devenu ? non,vrai, je ne comprends pas, dit-elle d’un ton plus accentué.

– Voilà qui m’est égal ! ripostabrutalement le docteur. Je viens de vous dire que milady est àBerne, si cela vous convient de la suivre à Berne, c’est votreaffaire et non la mienne. Si, au contraire, vous préférez aller àLondres. Eh bien, allez à Londres. Avez-vous quelque autre chose àdire ?

– Non, rien, riposta Fanny en prenant savalise.

– Décidez-vous, que diantre ! oùallez-vous ?

– Je vais me rendre par le chemin deceinture à la gare de Lyon ; là, je prendrais le premier trainomnibus pour Berne.

– Bon voyage ! » dit le docteurgaiement, puis, il referma la porte.

Le trajet de Paris à Berne est long, même enprenant l’express, si l’on peut prétendre, toutefois, que seizeheures de locomotion soient un long voyage ; mais pour celuiqui prend un train omnibus (ces trains qui n’ont rien dans lesveines), c’est à n’en pas finir, avec des arrêts à toutes lesstations du parcours ; pourtant, tout a une fin, même les pluslongs voyages.

Une fois à Berne, Fanny descend sa valise à lamain ; elle est tranquille ; elle va enfin revoir samaîtresse ! Elle demande l’hôtel d’Angleterre ?

Un agent de la police fixe sur elle un regardébahi et reste bouche cousue ; elle réitère sa question.

« L’hôtel d’Angleterre, connaispas ! dit-il.

– Si,… si,… riposte Fanny avecinsistance. Il y a pour sûr à Berne un hôtel d’Angleterre,… je suisla femme de chambre d’une dame qui y est descendue.

– Vous faites erreur ; il n’y a pasd’hôtel d’Angleterre à Berne ; il y a l’hôtelBernerhoff. »

Sur ce, Fanny exhibe l’adresse écrite de lamain du docteur : Lady Harry Norland, hôtel d’Angleterre.

« Je connais l’hôtel de Bellevue, duFaucon, Victoria, Schweizerfof, Schradel, Schneider, la pensionSimkin. »

Au premier moment, Fanny Mire ne mettait pasen doute que sa maîtresse ne fût à Berne, mais elle supposait quele docteur avait eu une distraction en écrivant. Elle se décidealors à aller dans tous les hôtels de la ville ; mais sesrecherches étant infructueuses, elle se rend à la poste et demandesi l’on peut lui donner l’adresse de lady Harry. On lui répondqu’aucune dame portant ce nom, n’est venue réclamer ses lettres.Fanny finit par tirer de tout cela, les conclusionssuivantes :

C’est que le docteur Vimpany l’avait induiteen erreur volontairement. Pour se débarrasser d’elle, il l’avaitexpédiée sur Berne. Elle avait été refaite au même. Elle compta sonargent et vit qu’il ne lui restait que 30 francs en tout et pourtout ! Enfin, elle se dirige du côté de la pension le meilleurmarché (et aussi la plus sale), raconte sa déconvenue… à safaçon : elle venait à Berne retrouver sa maîtresse, et devaitl’y attendre jusqu’à l’arrivée d’instructions nouvelles.Voudrait-on bien la recevoir jusqu’à l’arrivée de milady ?Certainement, lui fut-il répondu, moyennant 5 francs par jour,payés d’avance chaque matin. Calculant que 33 francs suffisaientpour sept jours, elle écrit aussitôt àMme Vimpany ; à cinq jours de là, elle auraitsa réponse. Après avoir accepté les conditions ci-dessus, elle payeles 5 francs convenus : on lui fait voir sa chambre et onl’informe que le dîner est à 6 heures. Comme elle avait du tempsdevant elle, elle se décide à écrire deux lettres : l’une àMme Vimpany et l’autre à M. Montjoie. Elle lesmet l’un et l’autre au courant de toutes les péripéties parlesquelles elle vient de passer ; elle raconte que lord Harryet sa femme ont quitté Passy et que le docteur se disposait à fairede même : il s’était indignement joué d’elle, en l’envoyant àBerne, où elle se voyait dans l’impossibilité de retourner chezelle. En écrivant à Mme Vimpany, elle ajoutait cedétail important, que le malade auquel elle avait vu administrer dupoison et rendre le dernier soupir le jeudi matin, était bel etbien parti le samedi, son bagage à la main, résolu à se rendre àLondres, afin d’y revoir sa première garde-malade ; comprenezcela si vous pouvez, mais, pour moi, je jette ma langue auxchiens.

Dans sa lettre à M. Montjoie, elle lepriait de lui envoyer l’argent nécessaire pour se replier surLondres. Lady Harry s’empresserait assurément de le lui rendre.

Elle jette elle-même ses deux lettres à laposte et attend impatiemment les réponses. Le retour du courrierlui apporta celle de Mme Vimpany : nous latranscrivons ici :

« Ma chère Fanny,

« J’ai lu votre lettre avec l’intérêt leplus vif. Je ne crois pas, je l’avoue, qu’il y ait anguille sousroche ; espérons que lady Harry se tirera de là, sans ylaisser pied ou aile ! Vous apprendrez avec satisfaction queM. Montjoie va de mieux en mieux. Dès qu’il sera de force àsupporter une vive émotion, je lui remettrai la lettre de ladyHarry. Je me félicite de la lui avoir cachée jusqu’ici, car il fautménager la sensibilité d’un convalescent par crainte d’une rechute.À mon avis, c’est insensé à une femme de retourner avec son indignemari, tant qu’il n’a pas fait amende honorable. Que signifient lesprotestations, les lettres, les regrets ! Le repentir seprouve par des actes et non par des paroles. Il a écrit à ladyHarry une lettre dont il m’a priée de prendre connaissance, medemandant si je croyais qu’elle en puisse être offensée ? Jelui répondis que je ne le pensais pas. Il l’avertissait des risquestrès graves de dégradation morale (peut-être même pire que cela)auxquels elle s’exposerait en retournant avec lord Harry. Au cas oùelle refuserait de suivre son conseil, M. Montjoieinterpréterait son silence comme une réponse négative. Jusqu’àprésent, il n’a rien reçu de lady Harry, pas un mot, pas un seulmot ; donc, on doit en inférer qu’elle refuse net !

« Je vous engage à revenir viaParis, bien que le trajet soit plus long que par Bâle et Laon.M. Montjoie, j’en ai la certitude, vous enverra l’argentnécessaire pour le voyage. « Désormais, m’a ditM. Montjoie, où que lady Harry soit, cela ne me regardeplus ; ce n’est pas à dire, toutefois, que je puisse medésintéresser de son sort ; mais puisque sa femme de chambrefait preuve d’un si grand dévouement pour sa maîtresse, je luiferai tenir une certaine petite somme, non comme un prêt, maiscomme un don. » N’hésitez donc pas à rester une huitaine àParis et tâchez d’approfondir ce mystère. Ne pouvez-vous retrouverla garde-malade qui vous a succédé près du Danois et savoir parelle ce qui est réellement arrivé ? Avec tout ce que voussavez déjà, il serait étrange que nous ne connaissions pas lavérité vraie ; on peut s’adresser aussi aux fournisseurs, parexemple, à la blanchisseuse, au pharmacien. Vous les connaissezdéjà, vous pouvez les aller voir, les interroger et pressentir leurimpression. Quant à retourner près de lady Harry, vous n’avez àrecevoir les conseils de personne que de vous-même. Je vous attendsdans une semaine ; un événement quelconque peut se produired’ici là : nous en causerons de vive voix.

« Toute votre

« VIMPANY. »

Or les conseils de la femme du docteurcoïncidaient exactement avec les idées de Fanny. M. Vimpanyavait à coup sûr quitté Passy ; ce charmant faubourg, siplaisant qu’il soit, devait paraître monotone à un homme dutempérament du docteur. Elle y séjournerait 24 heures ou 48 heures,selon qu’elle le jugerait nécessaire.

La lettre de M. Montjoie lui fut remisedans la même journée, seulement un peu tard. Il répétait ce qu’ilavait dit à Mme Vimpany : il lui adressait 125francs par la poste, disant qu’il était trop heureux de pouvoirl’aider à donner à lady Harry Norland de nouvelles preuves dedévouement effectif. Quant à lui, il renonçait désormais à se mêleren rien des affaires de lord et de lady Harry. Fanny Mire quittaBerne, le même jour, un samedi. Le dimanche soir, elle s’installaitdans une pension de Passy. Elle s’adressa tout d’abord aupropriétaire de la maison occupée par lord et lady Harry, c’étaitun rentier, ayant fait une petite fortune dans la charcuterie.

Fanny entama la conversation, disant qu’elleétait femme de chambre chez lady Harry pendant son séjour à Passyet qu’elle désirait connaître son adresse.

« Mon Dieu ! vous m’en demandezbeaucoup, mademoiselle, répondit son interlocuteur. La femme demilord ressentait tant d’affection pour son époux, qu’elle n’a rieneu de plus pressé que de le planter là, tout net, pendant samaladie : elle n’a même pas reparu depuis la mort de milord…Voilà une femme ! Je ne sais pas si c’est la mode enAngleterre, mais en France, cela paraît louche.

– Lord Harry mort ! s’écria Fannyéperdue,… mort ! quand ça ?

– Milord a rendu l’esprit jeudi matin,c’est-à-dire il y a un peu plus de huit jours. Pour moi, voussavez, il n’a pas été emporté par une maladie de poitrine. On l’aenterré à Auteuil ; tiens, vous paraissez toutébaubie !

– En effet, monsieur, je n’en revienspas, répondit Fanny.

– Eh bien, mademoiselle, vous pouvezaller vous en assurer vous-même, car on a déjà gravé sur sa tombeune plaque com… mé… morative ;… vrai, les Anglais ont de beauxsentiments, quand ils arrivent à les pouvoir exprimer. Quant àtrouver la veuve Lachaise, rien n’est plus aisé. »

Munie de l’adresse en question, Fanny remerciele charcutier et s’éloigne. Grâce à lui, elle vient d’apprendre unechose capitale : la mort simulée de lord Harry ! Il estbon de dire que la veuve Lachaise, après avoir fait bon accueil àl’étrangère, lui raconta par le menu, et sans y entendre malice,tout ce qu’elle savait ou croyait savoir. On l’avait priée dedonner ses soins à un jeune lord Irlandais phtisique au dernierdegré et dont la vie, en réalité, ne tenait plus qu’à un fil. Ledocteur prétendait qu’il connaissait des cas où le dénouement fataln’arrivait qu’après des mois.

À midi, elle arriva au chalet, comme c’étaitconvenu ; le docteur l’avait introduite dans la chambre dumalade, qui dormait d’un sommeil paisible, couché sur un sofa, lelit n’ayant pas encore été refait ; après avoir indiqué lesdrogues à faire prendre au patient qui dormait profondément, ledocteur avait quitté la pièce.

– Êtes-vous sûre qu’il n’était pasmort ? demanda Fanny.

– Mademoiselle, j’ai acquis une longueexpérience des malades ; je sais mon affaire. Dès que ledocteur eut tourné les talons, je n’ai rien eu de plus pressé quede tâter le pouls du malade, observer sa respiration ; toutétait en bon ordre et fonctionnait régulièrement. »

Fanny reste bouche close ; il lui étaitimpossible de rappeler à cette respectable garde-malade qu’ellel’avait vue passant l’inspection des fioles du buffet, des tiroirs,voire de l’album de photographies. La veuve poursuivit :

« Je me mis en mesure de tout préparerpour le prochain réveil de mon malade ; je tirai les rideauxpour aérer le lit ; je secouai les oreillers et fis tout cequi est de mon métier, guettant toujours le moment d’administrer lapotion. Enfin, l’heure de la lui donner ayant sonné, je cherchai àle réveiller tout doucement. Eh bien ! oui, madame, celui dontje venais de constater la respiration régulière et forte et lepouls bien battant avait cessé de vivre !

– En êtes-vous absolument sûre ?

– Absolument, mademoiselle ;croyez-vous donc que c’était la première fois de ma vie que je metrouvais en face d’un trépassé ? J’appelle le docteur,simplement par acquit de conscience, puisque je savais pertinemmentque le pauvre Irlandais n’était plus qu’un cadavre.

– Et alors ?

– Il examine le pouls, le cœur, les yeux,et le déclare mort.

– Et après cela ?

– Après ? dame ! quand on estmort, c’est fini, vous savez, impossible de nous ressusciter !Alors le docteur braque son appareil photographique sur le pauvrejeune homme, et tire des épreuves pour ses parents, ses amis…

– Ah ! vraiment etpourquoi ?

– Comme je viens de vous le dire pour sesparents et ses amis. »

L’étonnement qu’éprouvait Fanny n’avait plusde bornes ! Elle ne réussissait pas à comprendre à quellesfins le docteur voulait montrer la photographie du Danois aux amisde lord Harry ; personne ne pouvait donner dans le panneau etprendre un portrait post mortem d’Oxbye pour celui de lordHarry !

Sans plus tarder, Fanny se rend au cimetièred’Auteuil. Elle avise facilement la tombe qu’elle cherche et y litces mots, gravés en anglais :

« À la mémoire de lord Harry Norland,fils cadet du marquis de Malven. » Puis la date et l’âge, pasun mot de plus. Fanny s’assied sur un banc ; attachant un longregard sur cette plaque mensongère, elle se dit :

« Une grande amélioration a dû seproduire dans l’état du malade quand je l’ai quitté ; c’estbien pour cela que l’on m’a congédiée. Persuadé que je lui avaislaissé le champ libre, le lendemain le docteur lui aura administréun poison. Je l’ai vu de mes yeux perpétrer son crime ; lagarde-malade à laquelle ou avait fait croire qu’il était endormi,n’a pas tardé à découvrir la vérité ; on lui avait dit,préalablement, que le tuberculeux était un jeune Irlandais. Il estenterré sous le nom de lord Harry. Voilà pourquoi j’ai trouvé ledocteur seul… Et lady Harry où est-elle ? Ciel ! oùpeut-elle être ! »

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