C’était écrit

Chapitre 35

 

Les semaines s’effritaient lentement :Mme Vimpany tenait scrupuleusement la promessequ’elle avait faite à Montjoie ; dès qu’elle recevait unelettre d’Iris, elle s’empressait de la lui communiquer avec prièrede la retourner aussitôt qu’il en aurait pris connaissance ;les détails de la vie du jeune couple, détails qui semblaientappelés à justifier les craintes de Mme Vimpany,étaient racontés par Iris avec un badinage jeune et charmant :mais combien il était attristant de constater que sa brillanteintelligence était inhabile à concevoir des soupçons qui auraientpu frapper même l’ingénuité d’un enfant ! Une fois.Mme Vimpany écrivit à Montjoie les lignessuivantes : « Je crois inutile de vous faire tenir ladernière lettre d’Iris, tant le contenu en est insignifiant etsuccinct ; par contre, vous trouverez, ci-jointe, unecirculaire dont je vous prie de prendre connaissance. Allez auxinformations et tâchez d’éclaircir la chose. Lord Harry rêve, àcoup sûr, un coup de fortune, dont sa femme n’envisage pas encoreles conséquences. »

Ce prospectus annonçait la publicationprochaine d’un journal hebdomadaire, publié en français et enanglais, à Paris. Cette feuille devait faire concurrence auGalignani. La liste des collaborateurs comprenait les nomsde littérateurs jouissant d’une notoriété incontestable ; lespersonnes qui désiraient des informations sur les garanties quepouvait offrir cette affaire, devaient s’adresser au comitéd’administration, composé d’hommes cotés très haut dans le mondefinancier. Les renseignements obtenus par Hugues et les promessesde la circulaire ne différaient pas d’un iota ; mais, parcontre, la question des dividendes souleva de grandesrécriminations. Hugues le fit savoir à qui de droit ; Iriscomprit.

Après un intervalle plus long qu’àl’ordinaire, elle fit savoir à son amie que son mari avait loué àPassy une sorte de chalet qui leur permettrait de vivre pluséconomiquement qu’à Paris, de cultiver un joli jardin et derespirer l’air pur du bois ; mais, aucune allusion à lapublication du nouveau journal. Sur le verso,Mme Vimpany avait écrit les lignes suivantes :« Il m’arrive à l’instant une communication fort inquiétanteau sujet de mon mari ; je n’en puis dire davantage ; ilest possible, après tout, que ce bruit ne soit pas fondé ».Or, à quelques jours de là, cette nouvelle fut confirmée de lafaçon la plus imprévue, par l’arrivée de M. Vimpany enpersonne ! Sa physionomie, son maintien, sa parole,exprimaient la fatuité et l’outrecuidance.

« Comment ça va ? s’écria-t-il d’unton épanoui et joyeux. Quel beau temps, hein ! pour cetteépoque de l’année ! Ma foi ! je ne vous demande pas devos nouvelles, tant vous avez l’air en bonne santé. Me trouvez-voustrès changé ? fit-il en levant la tête.

– À parler franc, votre entrain m’étonne,repartit Hugues d’un ton indifférent, et sans plus bouger qu’unecariatide.

– Voyez-vous, reprit-il, c’est que j’aipour principe de faire bonne mine à mauvais jeu. Les gémisseursm’assomment ! Plus j’ai vent contraire, moins je me laisseabattre. Regardez-moi droit : eh bien ! vous avez devantles yeux un homme à l’esprit cultivé, un homme exerçant uneprofession des plus honorables, un homme aimant les arts, un hommeayant foi dans la marche ascendante de la civilisation et nepossédant littéralement que les hardes qu’il a sur le corps !Serrez cette main, monsieur Montjoie ; c’est celle d’un hommepauvre, qui ne peut plus faire face à ses affaires !

– Vous prenez ça bienphilosophiquement !

– Bien sûr ! à quoi bon m’enémouvoir ? Ma conscience ne me reproche rien, absolument rien.Ai-je perdu de l’argent dans des spéculations véreuses ? pasun rouge liard ! ai-je parié aux courses ? mes ennemisles plus acharnés n’oseraient répondre affirmativement ;qu’ai-je donc fait ? Ah ! j’ai été trop serviable, tropcharitable, trop dévoué ! Allons, bon ! voussouriez ! Ah ! il n’y a pas là, cependant, de quoirire ! Quand un médecin a pour mobile l’amour del’humanité ; quand il ne vise qu’à soulager les souffrancesd’autrui, n’appelez-vous pas cela de la vertu, du dévouement, del’abnégation. J’ajoute même que si, par hasard, je vois arriver unclient, souvent il est trop pauvre pour payer. J’ai fait desvisites de quartier chez les clients de mon prédécesseur pour lesrelancer, bref, je me suis donné un mal de cinq cents diables pourréussir, mais personne n’a réclamé mes soins. Hommes, femmes,enfants, jouissent d’une santé impitoyable ! Que le diable lesemporte ! n’est-il pas révoltant que quelqu’un de ma valeursoit réduit à la pauvreté, voire à la misère ! »

Avisant une cave à liqueurs, il s’excuse de laliberté grande et se sert un verre de cognac dont il sedélecte.

Hugues, qui n’en était plus à se reprocher dene pas avoir brusquement mis le docteur à la porte, s’empressed’aller fermer à clef la cave à liqueurs. On peut s’imaginerl’exaspération de M. Vimpany ! il rougit jusqu’au blancdes yeux et son désappointement allait se traduire par une bordéede jurons peu parlementaires : mais, l’instant d’après, ilpartit d’un éclat de rire satanique : à coup sûr, il venait enquêteur d’aumônes.

« C’est exquis, ce cognac ! finitpar dire le docteur ; il est bien supérieur au fameux vin deBordeaux de l’auberge de Honey-Buzzard.Vous ensouvient-il, hein ? Je reviens à mon insolvabilité…

– Permettez ! s’écria Hugues, qui enavait assez des doléances de son interlocuteur, je ne suis pas aunombre de vos créanciers.

– En êtes-vous bien sûr ? répliquale docteur : un peu de patience, s’il vous plaît.

– Quoi ! seriez-vous venu ici pourm’emprunter de l’argent ?

– Nom d’un petit bonhomme !laissez-moi au moins le temps de m’expliquer. Il n’est pas questiond’une affaire à bâcler en cinq minutes.

– Alors, expliquez-vous ?

– Je me flatte d’avoir un esprit fertileen ressources ; la dernière fois que mes créanciers m’ontforcé à rendre gorge, je n’ai pas jeté pour cela le manche après lacognée. Du tout ! à quoi bon se butter contre le soleil !La médecine bourgeoise et honnête, ne m’ayant occasionné que desdéboires, j’ai tenté la chance comme empirique ;… en un mot,j’ai inventé un médicament merveilleux,… un spécifique,… un élixirde vie ; mais la seule chose qui m’ait manqué, c’estl’argent ; il en faut tant pour les frais de presse, pour lesréclames, en un mot, pour lancer la chose ! Or, savez-vous quel’argent est le nerf des annonces et du succès. Au total, lespersonnes auxquelles je me suis adressé pour avoir des fonds m’ontenvoyé promener.

– Je comprends, riposte soninterlocuteur.

– J’ai alors changé mon fusil d’épaule.Que diable ! le gosier ne peut se contenter d’eauclaire ! Je me suis dit que notre siècle est le siècle desécrivains, des acteurs, des peintres, des artistes, pour tout dired’un mot. Ma partie, à moi, c’est la photographie. Avez-vousremarqué les épreuves appendues aux murs de mon cabinet ?c’est mon œuvre, mon cher, ou plutôt mon chef-d’œuvre ; maisje n’en ai soufflé mot, car le gros public aurait déclaré qu’il y aincompatibilité entre la médecine et la photographie ! Je merésume en disant que, pour me remettre à flot, je compte publierune biographie des médecins éminents de Londres ; lapublication mensuelle, à 12 fr. 50 le numéro, sera ornéede portraits photographiés. Bien entendu, je prendrai un nom deguerre ;… dame ! après ça, si je ne fais pas fortune, ilfaut renoncer à l’idée de réussir jamais ! Qu’enpensez-vous ?

– J’avoue que je ne saisis pasbien ;… je me demande pourquoi vous me mettez ainsi dans lesecret de votre destinée ?

– Comment donc ! mais je vousconsidère comme mon meilleur ami.

– Vous devez cependant, riposta Montjoie,en avoir de plus anciens que moi, docteur.

– Pas un seul qui m’inspire autant deconfiance, mon ami, et je vais vous en donner la preuve.

– Voyons, il s’agit d’argent, pourappuyer votre combinaison ? demanda Hugues en écrasant ledocteur d’un regard de mépris.

– Êtes-vous donc résolu à me dire deschoses blessantes ? fit M. Vimpany avec un gested’humeur.

– Moi ? Parbleu, non ;continuez.

– Merci ; un petit encouragementproduit toujours un grand effet sur moi. Je désirerais vous fairevoir mon manuscrit, avant de le confier au libraire que j’aicommissionné pour le publier ; c’est un vrai service à merendre.

– Je suis fort occupé ;… bien lebonsoir !

– Vous dites ?

– Que je me refuse à être votre bailleurde fonds, car c’est là où vous en voulez venir. »

La physionomie de M. Vimpany prit uneexpression sinistre, il s’écria :

« Réfléchissez qu’il en est tempsencore.

– Pensez-vous donc m’effrayer ?Mettez-vous bien dans l’esprit que ma résolution est prise et querien ne peut la modifier. »

Sur ce, le docteur prend son chapeau ;les yeux braqués sur Hugues, il s’écrie :

« Le temps est proche où vous vousrepentirez de m’avoir refusé ; à l’avantage,monsieur ! »

Par quel moyen désespéré ou audacieux cebanqueroutier réussirait-il à remplir sa bourse vide ? s’ileût renoué des relations avec lord Harry, chose assez plausible,après tout, car la fatalité de leur nature les faisait toujours serejoindre, ils s’entendraient comme deux larrons en foire pourbattre monnaie. Envisageant les complications qui menaçaientl’avenir d’Iris, Hugues résolut d’aller en conférer avecMme Vimpany.

Dans les circonstances présentes, n’était-ilpas opportun que Montjoie se rendît à Paris ?

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer